Article écrit à quatre mains avec Jeanne Pouget. Jeanne enseigne à Paris, retrouver là sur son compte IG : https://www.instagram.com/jeanne_yoga/ 

Crédit Photo : Jeanne Pouget

Pour en finir avec les idées reçues sur le Hatha Yoga.

“Yoga doux”, “yoga mou”, “yoga lent”, yoga “yin” … Les qualificatifs ne manquent pas pour labelliser le Hatha yoga qui se fait de plus en plus rare en studios, lui préférant des “types” de yoga dits “dynamiques”. Mais ce serait oublier que le yoga pratiqué par tous aujourd’hui prend racine dans le Hatha et qu’il n’existe pas de yoga doux ou dynamique.

Tous les « styles de yoga » viennent du Hatha

Notre habitude à vouloir contrôler et définir, nous a poussé à mettre la pratique du Yoga dans plusieurs boîtes. Il y a effectivement plusieurs chemins qui nous amènent à la pratique du yoga :

  • La voie du Karma Yoga (action)
  • La voie du Bhakti Yoga (dévotion)
  • La voie royale du Yoga ou Raja Yoga (celle que nous pratiquons tous)
  • Le Jnana Yoga (connaissance).

De manière générale nous avons choisi celle du Raja Yoga. L’un des outils utilisés pour la pratique du Yoga est la pratique des postures de yoga (asanas).

Et c’est là que nous avons commencé à tout mélanger et à catégoriser et donc à influencer les pratiquants. Il existe maintenant pléthore de pratiques que je ne listerai pas, car elles vont des plus traditionnelles aux plus farfelues et pullulent un peu plus chaque jour.

Or seriez-vous surpris d’apprendre que toutes les postures de Yoga viennent du Hatha Yoga ? Savez-vous que la pratique comporte aussi des Vinyasas ? Dès lors qu’il y a respiration dans, par et avec le mouvement, il y a Vinyasa. Contrairement à ce que les studios nous vendent, le Vinyasa n’est pas un enchaînement de postures dynamiques mais tout simplement le fait de respirer entre chaque mouvement pour entrer et sortir de la posture. Et si les Vinyasas viennent initialement de la pratique traditionnelle de l’Ashtanga Vinyasa Yoga, celle-ci a été fortement marquée en amont par la pratique du Hatha Yoga.

Le Hatha est-il un yoga “doux”?

Le Hatha Yoga est souvent associé à un yoga dit “doux”, pour débutants, pratiqué par des personnes âgées, voire en rémission, dans lequel on ne bouge pas, on ne transpire pas, on ne saute pas. Autrement dit un yoga “chiant” par opposition à des séquences enchaînant des flows dits “dynamiques” faits de chiens tête en bas, la jambe en l’air, sur le côté, le tout suivi d’un beau Trikonasana qui invariablement se transformera en Reverse Warrior avant de se précipiter pour redescendre en Chaturanga. (Car, soit dit en passant, tout le monde souhaite de « la diversité » mais tout le monde pratique le même « flow »…).

En Hatha, les postures se gardent entre 9, 12, voire 18 respirations et ne sont pas enchaînées les unes aux autres. Ceci pour ne pas déséquilibrer le corps avec des enchaînements de postures improbables durant lesquels les asanas ne sont gardés que le temps d’un hoquet.

Une séance de Hatha Yoga dite traditionnelle commence par 12 salutations au soleil de style Hatha. La séquence ne se fait pas “rapidement” mais respecte bien les respirations et rétentions d’air pour chaque mouvement.

C’est donc une pratique exigeante, qui demande et amène une force physique et mentale. Pourquoi ? Parce que les postures sont gardées longtemps – moins qu’en style Iyengar qui utilise des briques et des sangles -, mais suffisamment pour prendre le temps de se corriger soi même et apprendre à respirer dans la posture afin d’y trouver une certaine confortabilité. Avez-vous essayé de rester 12 respirations dans un Trikonasana ?

Définir le Hatha Yoga comme une pratique « douce », sous entendu qui ne présente aucun défi pour l’élève, est une erreur et une idée reçue sur ce que représente l’essence même de cette pratique. Et de manière générale lorsque nous disons que nous pratiquons le yoga, l’image que cela renvoie chez certains est celle d’une personne assise qui « médite », donc quelque chose de “facile”. J’invite ces personnes à s’asseoir à même le sol, pendant plus de cinq minutes, sans bouger. 

La mode du yoga performatif

Les studios de yoga ont pris pour acquis que les citadins sont stressés, n’ont pas vraiment le temps de se pencher sur une pratique qui ne leur parle pas et préfèrent proposer des cours de yoga dans lesquels tout sera mélangé. On y ajoutera de la musique pour les divertir, des mouvements difficiles d’approche pour le “challenge” physique, sans bien comprendre les fondamentaux. Le but étant d’apporter calme et sérénité.

Il est rare d’assister à un cours dit de “vinyasa” ou de “flow” où les pratiquants (souvents débutants) approchent les postures correctement. Et rares sont les professeurs qui prennent le temps d’ajuster puisqu’ils n’ont eux-mêmes pas le temps de quitter leur propre tapis pour observer leurs élèves, trop occupés à démontrer.

Mais qu’importe puisque le yoga dynamique est vendu comme un produit qui doit amener du “fun”. On insiste sur cet aspect ludique, dansé, sans cesse en mouvement, souvent précipité, bref de “liberté”. A l’heure où nous traversons une période de grande frustration économique et sociale, nos activités ne doivent surtout pas nous brider davantage. La transpiration et l’aspect “cardio” issus de la rapidité des enchaînements (où le corps fait souvent n’importe quoi) donne ainsi la satisfaction (ou plutôt l’illusion?) d’un effort et donc d’un résultat.

Nous vivons sur un mode performatif dans lequel nous aimons recevoir les fruits immédiats de nos effort. Or c’est justement l’inverse que le yoga nous enseigne! La rigueur, la discipline, la patience, la répétition, la détermination, le dévouement, l’écoute … Autant de facultés qui sont mises à mal dans des pratiques labellisées comme dynamique où le temps est à peine pris pour respirer.  

Le « yoga dynamique » est une création marketing

Il est vrai que si l’on propose aux gens des cours qui enchainent les postures, ils se sentiront épuisés d’un tel effort et donc mettrons ça sur le fait que le yoga dit dynamique est plus adapté à leurs modes de vie. Ce qui, entre parenthèses, n’est pas forcément un bon calcul : dans nos modes de vies occidentaux très (pour ne pas dire trop) “Yang”, surchargés et dynamiques, nous aurions plutôt besoin de ralentir et d’aller vers des pratiques plus méditatives et lentes pour contrebalancer cet excès d’énergie.

Dans cette course à la performance et au résultat, le Hatha a mauvaise presse. Certains studios nous ont affirmé avoir retiré la pratique du Hatha de leurs plannings parce que cela “n’est pas vendeur”. Or ne serait-ce pas plutôt aux studios d’éduquer les pratiquants novices plutôt que de leur donner sur un plateau ce qu’ils pensent être du yoga? En se compromettant ainsi on bannit une pratique qui, au demeurant, est la base de toutes les pratiques de yoga.

Et c’est ainsi que l’on se retrouve avec des élèves et des professeurs ne sachant pas quel style de yoga ils pratiquent et enseignent et qui ne connaissent absolument pas les origines de leur propre pratique. De la même manière, rares sont les professeurs qui enseigneront en utilisant les termes en sanskrit car selon eux « les gens ne comprennent pas », tout comme chanter un mantra d’ouverture serait difficile à faire passer du fait de l’assimilation à la religion voire carrément à la secte.

Or, en oblitérant tout ce qui représente et nous amène à la pratique du yoga, nous reculons et on se retrouve devant des personnes qui ont plus l’habitude d’enseigner et de pratiquer des postures en mode guerrier, plus proche du cours de fitness que l’on peut trouver dans n’importe quel club sportif.

Si vous êtes un jeune professeur de yoga et avez une passion pour la pratique traditionnelle du Hatha Yoga, trouver un lieu pour l’enseigner risque de devenir très compliqué, tant les gérants eux-mêmes ne comprennent et ne connaissent cette pratique qui est pourtant l’essence de toutes.

Namaste,