Quand en 1998 j’ai franchi la porte d’un studio de Bikram Yoga à Montréal, le yoga n’était pas encore commercialement parlant, aussi vendable et vendu.

On se pliait dans tous les sens, dans une chaleur humide, la sueur ruisselante sur le tapis, et on admirait les photos des professeurs qui s’étalaient sur les murs représentant toute la série.

Les professeurs avaient ce petit quelque chose d’inaccessible, un peu arrogant. J’y allais pour la pratique, pas pour Bikram, ni pour sa « tradition », ni pour l’Inde, ni pour les professeurs, ni pour le Yoga.

J’y allais car j’aimais me plier dans tous les sens, transpirer, et que malgré la chaleur ça ne représentait pas vraiment un challenge pour moi.

Vingt et ans ont passé.

Quand je vois mon parcours, ma vie, ce que j’enseigne, ce que je pratique, la première chose qui me vient à l’esprit est « je pratique toujours ».

La deuxième chose « mais c’est quoi tout ce cirque avec le Yoga?« ……

Je suis tellement contente de l’avoir découvert avant que tous ces nouveaux « styles » de pratique apparaissent.

Du Yoga dit dynamique à celui des hormones, de celui qui soigne à celui des yeux. Il y a 20 ans, on pratiquait des postures, et si le prof était plus qualifié on pouvait trouver des cours de pranayamas, mais c’était plus difficile.

La bonne nouvelle est que tout le monde maintenant connait plus ou moins le yoga, on peut choisir le « style » qu’on souhaite pratiquer et si jamais on accroche bien, le désir d’approfondir la pratique pour commencer à vraiment découvrir ce qu’est le yoga en-dehors des postures, peut arriver.

La mauvaise nouvelle est que justement tout le monde pratique, ou croit le pratiquer, et que dès lors des anciennes gymnastes, contortionists, danseuses se reconvertissent au Yoga, ça donne tout le temps des belles photos dans des postures souvent très compliquées.

Du coup la barre est haute, et les questions fusent « mais je ne suis pas souple, est-ce que je peux quand même faire du yoga? ».

Avant cette question était rare, car même si on voyait les photos des yogis, on s’imaginait bien que cela venait avec la pratique. 

De nos jours il ne se passe pas un jour sur Instagram sans qu’une magnifique femme, en tenue branchée made in yogini around the world, prenne la pose dans une posture en équilibre comprenant en plus une flexion arrière, où le pied touchera la fesse, le dos ou mieux la tête, le tout avec la phrase philosophique « acceptez vos limites »……

On peut aussi acheter des mantras sacrés chantés façon rock & roll, ou techno musique, le tout sur un air de fin du monde.

Ou alors chercher une retraite de yoga basée sur l’amour de soi, où tout le monde se prend dans les bras et tout le monde s’aime en lâchant des « oh » et « ah » dans la posture Adho Mukha ou plus communément appelée Downward Facing Dog.

Les professeur de yoga en plus d’être thérapeute deviennent aussi « coach de vie », ils préparent des textes à dire pendant les cours : « ici vous êtes dans un endroit sécuritaire, personne ne vous jugera, nous sommes tous pareils, n’ayez pas peur de lâcher vos émotions »…. et pour bien faire comprendre qu’ils ont lu Patanjali il vous sortiront l’un des premiers allégorismes « une position doit être stable et confortable » – dans le meilleur des cas ils auront la phrase dans le bon ordre, or le contexte n’est pas le bon pour en parler….. 

On parlera du fameux « Ahimsa », pour bien préciser que cette pratique est la votre, ne pas pousser dans les postures et ne pas avoir de mauvaise pensée envers votre voisin.

La base en somme.

Ces mêmes cours où sans savoir trop pourquoi on se retrouve après dix minutes, la tête en bas, les jambes en l’air, en essayant de faire le premier équilibre sur les mains, mais encore une fois c’est pour votre bien, pour lutter contre vos peurs, croyez en vous, et tant pis si votre ceinture scapulaire n’est pas assez forte pour vous maintenir.

Instagram – The plateforme to Be!

On choisit alors son professeur en fonction du nombre d’abonnés sur un compte instagram….

J’ai rencontré une professeur de yoga, qui organisait des formations de yoga, et j’ai été intimidée.

Elle était grande, svelte, belle, américaine, dents blanches, tenue de yoga chic, capable de faire un équilibre sur les mains tout en buvant sa noix de coco à la paille en bambou et en continuant la conversation qui consistait à s’extasier sur le fait que tout était absolument « amazing », et que « oui j’ai fait un peu d’Ashtanga mais la rigueur n’était pas pour moi, je préfère enseigner un flow plus dynamique, alors j’ai créé mon propre style (et je suis maintenant millionaire) »…..

A la fin de cette rencontre, je me suis demandée à quoi ressemblaient ses élèves, toutes des jeunes femmes, belles, fines, longs cheveux, instagrameuses, influenceuses ? Ou comment ça se passe ? 

Si j’ai plus de 40 ans est-ce que je me sentirai à ma place dans cette formation ? Si je suis jeune un peu ronde, est-ce que je vais me sentir épanouie ? Ou bien est-ce une certaine élite du yoga qui commence à se créer par l’intermédiaire d’Instagram ?

On dit que l’Ashtanga Vinyasa est réservé à une « élite » du Yoga, car c’est une pratique exigeante, mais je peux vous assurer que jamais, absolument jamais je ne me suis sentie mal à l’aise avec un professeur, que ce soit David Swenson, John Scott, Kristina Karitinou, Laruga Glaser, Mark Robberds, Iain Grysak, Ajay Tokas ou même Sharat R. Jois, jamais je ne me suis sentie diminuée. Mais toujours à ma place.

Même en pratiquant au grand shala à Mysore, où nous sommes une centaine d’étudiants, je ne me suis sentie diminuée. Au contraire l’énergie est telle que l’expérience en devient plus forte.

Mais qui sont donc ces nouveaux professeurs, que les magasines s’arrachent et encensent ? Et pourquoi ?

Sont-ils/elles des Dieux / Déesses venant d’une contrée divine, où le simple stage de deux heures se facturent 125 USD et la formation se paie plus de 5000 USD sans hébergement ni repas ?

Ces mêmes professeurs qui parlent du Hatha Yoga comme étant trop lent à leur goût, l’Ashtanga Yoga Vinyasa comme étant trop masculin, mais qui sans ces deux pratiques en amont ne seraient pas là aujourd’hui à nous vendre des « hot warrior power woman intuitive chakras bandhas open flow« ……

En plus d’être souple, faut-il être extrêmement beau / belle et bien foutu(e) pour faire du yoga et devenir un prof de yoga reconnu internationalement (et accessoirement E-RYT par Yoga Alliance US) ?

Faut-il pouvoir pratiquer dans un souffle l’increvable Adho Mukha Shvanasana, jambe en haut, jambe poitrine, jambe en haut, jambe côté, jambe en haut et allez zou on passe en Camatkarasana (le pont), pour revenir en Virabhadrasana II et passer avec un gros sourire sur des lèvres charnues, les cheveux dans le vent au photogénique « Reverse Warrior »…… puis les postures au sol, c’est pas très grave, happy baby emballez c’est pesé, let’s go pour le Shavasana de la paix et de l’amour….

Comment en sommes-nous arrivés là ?

 

– Namaste –