En ce moment mon corps est fatigué et se ferme. Je n’ai rien vu venir. La semaine passée j’avais des pratiques un peu laborieuses, certes, mais je pouvais bouger.
Depuis que je suis arrivée à Bangkok, mon corps s’est complètement refermé sur lui-même. Même allongé j’ai mal. Définir la douleur est impossible.
Je comprends ce qu’une personne raide, mais vraiment raide ressent dans Adho Mukha Svanasana tant la douleur est intense quand je la fais. Je ne peux plus tendre les jambes, je ne peux plus descendre la tête car le poids que cela amène aux épaules provoque des décharges électriques. Je ne peux plus faire padanghustasana et autre flexion avant, que d’habitude je fais tranquillement.
La closing series est source de douleurs épouvantables, halasana est devenu mission impossible.
Pour autant je continue de pratiquer, non pas par bravoure, mais dans l’espoir d’ouvrir ce que mon corps est en train de verrouiller. Je ne me pose pas la question de savoir ce que je vais apprendre de ça.
Je comprends en revanche qu’il y a des choses que l’on ne peut pas contrôler. Le corps est une machine formidable, mais si on veut qu’il continue d’être magique il faut pouvoir le respecter et l’écouter.
La source
J’ai perdu ma meilleure amie le 12 Novembre dernier et jamais ô grand jamais, je n’aurai imaginé que cela arriverait.
Je ne pensais pas qu’elle allait mourir d’un cancer. Pour moi c’était impossible, même si elle avait le pire de tous, le mélanome.
Dans ma tête c’était très clair : « Non, Ma Darling, on se connait depuis 24 ans, on a refait Paris en long, en large et en-travers, on a partagé des cuites incroyables, on s’est engueulés pour des mecs, pour de l’argent, on s’est aimées, détestées, haïes, perdu de vue, retrouvé, on a fait de la danse et du théâtre ensemble, on a écrit des pièces pour nous tellement on se pensait bonnes actrices, bref tout ce qui fait que c’est la vie en somme, toi et moi à 80 ans on se tapera un verre de vin rouge en bas de la Butte Montmartre et on racontera à qui voudra l’entendre que c’était mieux avant…… tout en soulignant que l’alcool en fait ça ne réchauffe pas« ….
La dernière fois que je lui ai parlé c’était trois semaines avant son grand départ. Elle était d’une lucidité incroyable. Le lendemain sur le tapis de yoga, j’avais envie de vomir, une boule dans la cage thoracique qui me bloquait, je ne pouvais plus respirer. Je ne pouvais plus dormir tant l’acidité dans ma bouche et mon estomac me gênait.
J’ai compris que je refoulais cette émotion : la lâcheté, qui m’empêchait de booker un billet d’avion pour aller la voir à New York au lieu de rester à Mysore pour pratiquer avec Sharath. Car fondamentalement, je ne travaillais pas, c’était juste des pratiques de yoga…. pendant qu’elle se préparait à partir.
Quand j’ai appris son décès, j’ai d’abord été en colère, puis je me suis sentie vraiment mais vraiment minable et une tristesse abyssale m’a enveloppée. Je suis descendue voir Trupta et la première chose que je lui ai dit « I don’t want to be alone », sous entendu, je vais continuer de donner mes cours aujourd’hui, demain et tout le mois, je ne peux/veux pas rester seule dans mon appartement ou ailleurs.
Et à partir de là j’ai évolué dans une bulle.
Aujourd’hui je me retrouve coincée dans mon propre corps, je peux bouger, mais la douleur est présente. J’ai l’impression d’avoir le bassin et les hanches qui se soudent. C’est très désagréable.
De ma psychanalyse personnelle, je pense que je suis en train de processer toutes les informations de ces derniers mois, toutes ces émotions que j’ai cachées, et toutes ces questions auxquelles je me suis abstenue de répondre tant je n’ai pas la réponse. La première qui me revient souvent est « mais où vas-tu finir par te poser? ». Un nouvel anniversaire approche et je n’ai toujours pas la réponse. Je vais avoir 46 ans. Depuis 2013 tout ce que je possède se trouve dans ma valise.
Alors oui, je peux vendre du « rêve » sur Instagram, les réseaux sociaux sont là pour ça et je reçois souvent des commentaires « oh la chance que tu as de pouvoir voyager ». Je ne me plains pas, mais ce qui se passe sur le petit écran de téléphone n’est pas la réalité, c’est juste une photo, un texte sur le moment, pas dans la profondeur, ne vous laissez pas influencer par ce que vous y voyez.
Le corps est une machine mais il est surtout l’enveloppe qui nous protège, il reflète ce que nous sommes de l’intérieur vers l’extérieur. Aucun botox au monde, ou lifting ne peut vous rendre un sourire perdu si vous ne brillez pas de l’intérieur.
Aucun scalpel ne pourra vous rendre le regard plus beau et plus clair si les yeux qui ont vu n’arrivent pas à voir la beauté du moment présent.
L’avantage de voyager beaucoup est l’introspection que cela propose.
Mon corps a mal, et je sais que ce n’est pas à cause d’une posture de yoga que j’aurai mal faite.
Il réagit à tout ce que j’ai mis de côté. Et il réagit violemment.
Pourquoi je partage ça ?
Il est maintenant de notoriété publique que le mental affecte la dynamique et le bien être de nos organes, muscles, tendons, ligaments, fascias.
Cet été à Paris j’ai été confrontée à une élève qui extérieurement se présentait « ouverte » mais qui intérieurement était en combat constant envers elle même.
Lors d’une posture elle me demande pourquoi elle n’y arrive pas. Je lui ai simplement répondu que ce n’était pas tant un problème de souplesse qu’un problème psychique. Ma phrase est sortie toute seule, je suis parfois sans filtre, mais j’observe beaucoup les pratiquants. La posture était la version de Upavista Konasana, les jambes écartées, en équilibre sur le sacrum. Il était évident pour moi qu’elle rencontrait une difficulté à ouvrir les jambes. Ce n’était pas à cause d’un manque de flexibilité des hanches, mais son être entier bloquait le mouvement.
Une autre fois en cours de Yin, cette fois ci à Goa, une élève refusait de faire une posture car ladite posture était susceptible de lui déboîter le genou….. je suis allée la voir et je lui ai demandé si elle avait une pathologie, elle m’a regardée, son visage complètement fermé et m’a répondu « tout le monde le sait, le genou en flexion ainsi, si l’on descend le corps en arrière, il se déboîte »….. je regardais les autres élèves faire la posture sans pour autant se disloquer le genou. Je l’ai laissé avec sa croyance, le fait est, qu’elle y croyait tellement qu’elle aurait pu se blesser gravement au genou.
On ne peut pas lutter contre des croyances ou des refus de se « voir », on ne peut pas convaincre les personnes qu’elles n’ont pas forcément raison.
En revanche si ce n’est de tomber (et encore) ou d’avoir un accident de voiture, la plupart des blessures que l’on s’inflige, sont bien initiées par nous et personne d’autre. Il est entendu que les maladies dégénératives sont hors de notre contrôle, dans ce cas il faut beaucoup de force pour pouvoir travailler avec et autour.
Au lieu de se demander « pourquoi je suis raide des hanches », « pourquoi j’ai mal aux genoux », « pourquoi je ne peux pas tendre le bras », et bien il serait plus intéressant de se pencher sur le mental, sur ce que dit l’esprit, quelle image il renvoie, qu’est-ce qu’il murmure à l’oreille de chacun ?
Ce n’est pas complaisant, car il nous renvoie à notre image, notre passé, nos actions, nos émotions puis finalement nous même.
En revanche, je pense, mais c’est un avis très personnel, que ce chemin est le meilleur si l’on souhaite avancer vers une démarche spirituelle.
Namaste,
Une pensée pour toi Stéphanie !
La vie est une source d’épreuves qu’elles soient joyeuses ou douloureuses et qui fait ce que nous sommes et devenons.
Oui le mental est très important et est celui qui nous « dirige » après tout dépend de la direction que l’on veut prendre… Mais comme vous nous l’avez appris à Goa Trupta et toi, le cheminement se fait, à son rythme, et on avance en même temps.
Je t’embrasse
Chris
J aime ton approche du yoga si fine et si profonde si vraie .
Prends soin de toi 🙌🙌🙌
Coucou Stef, merci pour cet article encore une fois très personnel et profond. J’ai réalisé il n’y a pas si longtemps que la plupart de mes propres blocages sont en effet dus à des choses non digérées, que j’ai du mal à lâcher ou à accepter. Je le vois de plus en plus clairement et j’accepte pendant un temps de pratiquer en ayant l’impression d’avoir perdu « l’avancée » physique des derniers mois/années, car je sais profondément que les choses se remettront en quelque sorte en place lorsque je me serais autorisée à traverser ces émotions désagréables.
Je t’embrasse et pense à toi !
Marie
❤❤❤
Merci beaucoup! xx stef
Il faut effectivement prendre un jour à la fois. Puis il y a des moments où tu te prends une claque, faut l’accepter et continuer…. merci xx stef
La bonne nouvelle et la meilleure chose c’est justement de pouvoir accepter et voir d’où viennent nos blocages. Sinon on passe notre temps entre les mains d’ostéopathe, kiné, chiro et autres. Une fois que l’on accepte et que la source est identifiée, le problème n’est pour autant pas résolu, il faut faire un travail dessus et autour. Et comme tu dis, se voir « reculer » dans sa pratique peut en plus affecter l’ego…. c’est un travail très long et fastidieux…. des bises xx stef
Un article touchant, émouvant et enrichissant. Merci de partager cela avec nous. on dit que le temps aide à guérir les blessures.
Je t’embrasse tendrement
Merci beaucoup Fred. Et toutes mes pensées vont vers toi aussi, ne lâches jamais rien, tu es une star 😉
Merci Stéphanie pour ce message.
Je partage totalement ce que tu dis. Pourtant il y a des analogies qui ne sont pas possibles…par exemple on ne peut pas dire qu une personne hyperlaxe soit souple d esprit ( je le sais d expérience) .. tout ça l interroge donc encore beaucoup
Vaste champ d investigation
Je suis tout à fait en accord avec ce que tu dis. Mais être hyperlaxe ou très raide, n’est pas une maladie 😉 C’est une condition.
Bonjour Stephanie
Merci pour ce très bel article. J’espère que tu pourras faire le deuil de ton amie et te pardonner de ne pas avoir fait le voyage pour lui dire au revoir. Je pense que même à des milliers de km tu as été présente auprès d’elle et c’est ça le plus important.
Oui le corps peut parfois dire non !! J’en fait l’expérience moi qui ne suis jamais malade je suis clouée au lit avec tous les problèmes parisiens de grève d’annulation des cours etc .. je dis stop. Profite de la paix dont tu jouis à Maysore.. namaste
Stéphanie,
Je suis désolé d’apprendre le décès de ta meilleure amie. Le deuil est une épreuve vraiment violente. S’ajoute à cela une montagne de culpabilité, ce que l’on aurait dû faire, dire, vivre ensemble avant que…C’est d’autant plus compliqué quand on sent que nous ne sommes pas capable d’aller au devant de cette réalité et qu’on va passer à côté de quelque chose d’important, dire aurevoir à quelqu’un qu’on aime. A mes yeux, ce n’est pas de la lâcheté du tout. Ce sont nos limites, nos possibles et nos impossibles.
Maintenant que reste-t-il à faire? Et bien, je pense qu’il faut te pardonner Stéph, parce que tu as fait du mieux que tu pouvais, parce que ta peine et probablement ta culpabilité sont tellement vives que tout ton corps se renferme pour te le dire. C’est un chemin, c’est pas facile mais ne t’en veux pas d’avoir été absente parce que c’était bien trop violent pour toi d’être là…
Je te souhaite plein de courage.
Un très beau message. Merci.