La définition d’aliénant est : qui soumet à des contraintes, qui rend esclave.

On parle très souvent de la discipline et des règles à suivre pour pouvoir entretenir et parfaire une pratique de yoga sous toutes ses formes.

On « promet » quelque part une sorte d’absolution ou de libération dès lors que l’on arrive à se discipliner.

La plupart du temps, on tient ce discours pour finir de convaincre des élèves qui commencent une pratique ou qui souhaitent l’approfondir.

Rarement on parle des extrêmes.

Ceux ou celles qui justement ne vivent que par et au-travers de la pratique.

Et pourtant la frontière est très ténue entre les deux.

Many are stubborn in pursuit of the path they have chosen, few in pursuit of the goal.” – Friedrich Nietzche

 

On peut traduire cette phrase :

« Beaucoup sont obstinés dans la poursuite du chemin qu’ils ont choisi, mais peu dans la poursuite du but ». Nietzche disait aussi « dès lors que l’homme s’approche du but, il ne marche plus, il danse« .

Les philosophes m’inspirent, tout comme mes pratiques.

Devenir Esclave de sa pratique

Cela commence souvent dès lors que l’on commence à en ressentir les bienfaits tant physiques que mentales. La relation entretenue entre le tapis de yoga, le shala et nous même devient alors de plus en plus forte et c’est tout le mode de vie qui commence à en « pâtir ».

Les premiers symptômes deviennent d’ordre social.

Si le cercle d’amis a d’ores-et-déjà changé, il peut commencer à s’amenuir voir devenir inexistant.

On commence alors à refuser toutes sorties qui entraveraient les pratiques matinales, tout ce qui se mettrait en-travers de la route shala, maison devenant un ennemi caché, qu’il faudrait soudainement voir disparaître ou carrément abattre.

La nourriture devient problématique. Plus la pratique devient intense, plus l’appétit aura tendance à diminuer. Ce qui pour certain ne fait aucun sens, dans le sens où il y a pratique physique des asanas.

Le fait est, que si vous pratiquez l’estomac vide, mais vraiment vide, la légèreté sur le tapis sera telle que toutes les postures passeront comme un charme.

Les torsions seront les plus belles, la concentration sera tellement omniprésente que tous les équilibres se feront de manière naturelle, et qu’arriver au moment de Shirshasana on se trouvera proche de Samadhi.

Une fois expérimentée, il deviendra alors plus difficile d’accepter une sortie au restaurant entre amis, qui commencera invariablement à 20 heures. 

Je ne souhaite pas forcément m’épancher dessus mais j’avoue avoir flirté plus souvent que je ne le souhaitais, avec cet extrême (il m’arrive encore de le faire).

C’est la raison pour laquelle je peux en parler, et expliquer qu’à moins de vraiment vouloir devenir un sanyasi, ce chemin n’est pas le bon. Il faut rester sobre dans sa pratique tant mentale que physique.

Savoir doser et pouvoir garder un pied dans le monde dans lequel nous évoluons.

Jamais je n’oublierai la tête qu’à fait Trupta lorsqu’un jour je lui ai exprimé le souhait, et je vous assure que j’étais super sérieuse, en lui disant « J’aimerai bien devenir un Sanyasi »….

Il faut savoir que le Sanyasi renonce à tout, c’est un ascète. 

Il m’a proposé d’attendre encore trente ans….. et je crois qu’il a eu raison ! Je ne suis pas encore prête à me retirer du monde capitaliste dans lequel nous vivons.

Pratiquer en étant malade

Un bon rhume, une grosse sinusite, une trachéite, absolument rien ne peut arrêter le pratiquant.

Et pourtant, non seulement il compromet sa pratique mais aussi la santé des autres élèves et du professeur.

Venir pratiquer avec un bon virus infiltré dans le corps ne fait pas de nous des « vaillants guerriers ». Cela relève plus de l’inconscience et surtout d’un certain égoïsme.

En tant que professeur devoir travailler avec un élève qui se coltine un super rhume à la propagation évidente n’est pas la meilleure chose. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai attrapé le virus des élèves malades.

Il faut savoir économiser nos ressources. Lorsque le corps se bat contre un virus, dans l’idée il faut lui laisser tout son potentiel pour gagner la bataille. Si on impose un mouvement musculaire intense sous 38° de fièvre, je ne suis pas certaine que l’on puisse la gagner.

C’est un peu comme prendre un anti diahrrée pendant une bonne gastro-entérite. Il faut laisser le mal sortir pour que le système immunitaire puisse travailler à pleine capacité.

Pratiquer au-delà de la douleur

On dit souvent qu’il y a « douleur » et « douleur »….. comment faire la différence et surtout comment expliquer la « bonne » douleur qui n’existe pas, et la « mauvaise » douleur qui existe ?

La bonne douleur voudrait que ce soit celle qui réveille un muscle jusque là jamais exploré.

La mauvaise douleur serait alors celle qui réveille une douleur déjà existante provoquée par un claquage, déchirement, accident ou autre.

Malheureusement il n’y a que le pratiquant qui sera capable de l’identifier.

S’il y a eu blessure antérieure sur un endroit particuliers, seule la personne ayant vécu ce traumatisme sera dans la possibilité de la sentir et idéalement évitera alors de pousser afin d’éviter de donner une petite soeur à cette blessure déjà ancienne.

Aller au-delà de sa capacité est inutile et contre productif.

Dans une pratique de Pranayama, vouloir à tout prix tenir 20 secondes en kumbhaka (rétention de souffle), sur poumons vides, ne servira à rien et restera néfaste si le pratiquant ressent de la gêne après un décompte sur 10.

Il ne faut jamais rien forcer. Les choses arrivent en leur temps, à un moment donné où l’on s’y attend le moins.

Le fanatique ne devient pas un bon professeur

En revanche il devient un « gourou fanatique » qu’il vous faudra fuir à tout prix.

Souvent notre enseignement reflètera notre pratique personnelle. Si vous êtes carré dans votre pratique, votre enseignement le deviendra aussi.

C’est ici que ça peut vite devenir dangereux.

Les pratiquants esclaves de leur pratique, ceux qui ne mangent plus qu’une fois par semaine, qui font des lavements tous les jours, qui ont vu « la lumière » (probablement dû à un manque d’hydratation), qui si en couple pratiquent le tantrisme, ou qui célibataire ont trouvé leur chemin de rédemption, essaieront alors de vous convaincre que LEUR expérience, soit LEUR CHOIX de vie, est LA bonne chose à faire, est LE BON chemin à prendre.

Il n’y a alors plus aucun discernement.

La semaine passée j’ai participé à des Kirtans dans un centre de yoga à Ubud. J’ai adoré ce moment, les Kirtans étaient supers et franchement je me suis lâchée pendant deux heures.

J’ai eu l’occasion de parler à des fidèles de ce centre.

Etant toujours à la recherche d’une personne qui pourra résoudre mon problème de coude et d’épaule gauche sans passer par la case chirurgie, plâtre et rééducation, j’ai demandé à rencontrer un spécialiste du mouvement.

J’ai donc discuté avec des habitués du centre puis j’ai « presque » faillit rencontrer LE spécialiste du mouvement.

Ce qui m’a arrêtée a été le discours.

Il semblerait que tous les problèmes se résolvent à coup de chakra healing, réajustement du sacrum (je vous demande en mille comment on réajuste un sacrum…..), détoxification au jus miraculeux de différentes plantes vertes, rouges et roses.

Des programmes pour lesquels le coût est 300 USD pour trois jours de diète. Et autres traitement holistiques miraculeux qui pourraient en plus vous faire retrouver l’être aimé.

Je ne doute pas que cela puisse fonctionner pour certaines personnes, sinon le centre ferait faillite.

Ce qui m’a le plus surprise, c’est la façon d’amener les choses. Il semblerait que le traitement soit universel. Que vous présentiez un problème de mémoires antérieures, de conflits ancestraux non résolus, ou un simple claquage, la thérapie est la même pour chaque individu.

Or, je ne vois pas l’intérêt de me faire manipuler le sacrum, quand bien même j’ai bien compris qu’il faille traiter la source du problème, dès lors que je présente une fracture à l’extrémité du radius…..

Ici on ne parle plus d’aliénation face à la pratique mais plus face à des approches holistiques basées plus ou moins sur la connaissance d’un professeur (se présentant E-RYT 500) qui aurait la solution à tous les maux yogiques.

La responsabilité du Pratiquant et du Professeur

Auparavant, au-travers des différents ateliers que j’ai pu suivre pour mes pratiques d’Ashtanga, j’avais déjà croisé des femmes complètement anorexiques, qui pratiquaient tous les matins comme si c’était le dernier jour de leur vie. 

Je me demande quelle est la responsabilité du professeur de Yoga dans des cas aussi extrêmes?

Doit-il ouvrir une discussion avec ces pratiquants ou bien les laisser faire ?

Est-il du devoir du professeur de commencer à aborder des problèmes psychologiques avec des élèves présentant une certaine souffrance physique et mentale?

Si oui, il faudrait que ledit professeur soit équipé pour.

De la même manière, est-ce que le professeur doit entrainer ses élèves dans ses travers personnels ?

Si lui a souffert pour ingurgiter ses pratiques et les ressortir, a-t’il pour autant le droit de faire souffrir ses élèves de la même manière ?

Comment délimiter la discipline envers une pratique de yoga et l’aliénation que l’on peut y entretenir, en regrettant les jours de non pratique, en s’auto-flagellant car aujourd’hui on n’a pas réussi à tenir 10 respirations dans Utpluthihi.

Ce sont des questions que j’émets car je n’ai pas la réponse.

Je ne pourrai jamais aborder par exemple le problème de l’anorexie face à une élève présentant cette maladie, car je n’ai absolument aucune ressource dans le domaine. Je ne peux pas lui dire « il faut manger » car c’est une évidence, tout comme je ne peux pas l’aider à s’aimer plus car je n’ai aucune connaissance en psychologie personnelle et encore moins dans le comportement humain.

Je deviens en revanche le témoin de tout ce que le Yoga peut amener en dérive.

Les centres de Yoga qui proposent des formations sur les pratiques chamaniques me laissent songeuse….. 

J’ai bien compris que le monde était à la recherche de la reconnexion à soi et à l’Univers. En revanche les différentes approches et les personnes qui encadrent ce genre d’événements ne me paraissent pas très réelles.

Namaste,