Je vois déjà les sourcils se lever, les épaules montées aux oreilles, le soupir : « Mais qu’est-ce qu’elle va encore raconter ? »

Oui je l’avoue je peux être rabat-joie parfois, j’en ai pris mon partie. Je l’assume.

Il n’est pas rare, qu’avant les formations de yoga ou un stage je reçoive un email de certains étudiants, m’indiquant les postures qu’ils aimeraient pouvoir faire à l’issue du stage ou de la formation.

C’est une démarche que je respecte complètement, même si personnellement je n’irai jamais voir mon professeur avec un cahier des charges.

La demande face à ce désir d’accomplissement de la posture de yoga, est représentative de la mode actuelle et le reflet résultant des réseaux sociaux.

Ne croyez pas que je suis contre un beau Pincha Mayurasana ou un splendide équilibre sur les mains. Je prends souvent ces postures en exemple, car ce sont souvent ces postures que l’on voit.

Ce sont par ces postures et bien d’autres, que le yoga, les cours, les stages, les ateliers, les formations se vendent.

Ce sont par elles que l’on idéalise un bon professeur de yoga d’un moyen.

Ce sont ces postures qui ramènent le plus de j’aime et d’abonnés.

La Finalité

Ces postures entre autres, sont effectivement des postures de yoga. Elles n’ont pas été inventées par l’Ouest, Sri Krishnamacharya les enseignait, tout comme certaines sont listées dans le Hatha Yoga Pradipika. 

En revanche, ce que nous n’avons pas compris, c’est QUAND LES FAIRE….

Vous allez me dire, des personnes comme Laruga Glaser, Kino MacGregor, Mark Robberds, Baron Baptiste, John Scott et bien d’autres, sont les premiers à avoir lancé des programmes de tutoriels pour les démontrer.

Et bien évidemment c’est ce qui les a rendu célèbre sur le long terme, et c’est pour cela que l’on parle d’eux comme étant des références.

Je ne connais personne qui ne s’est jamais extasié sur la pratique flottante de Laruga, les supers équilibres de David Swenson et les mouvements extatiques de la colonne vertébrale créés par Simon Borg Olivier, repris par tout le monde.

Le petit bémol à tout ça, est que la plupart des gens, ne voient que la finalité.

Pas le travail qui a été fourni en amont.

En moyenne il faut 3 à 5 ans

Pour maitriser une posture de yoga, il faut la répéter 1000 fois. 

Il y a 52 semaines dans une année.

Si vous pratiquez 6 jours sur 7 tout l’année. En retirant les jours de pleine lune, de nouvelle lune et trois jours de menstruations pour les femmes, il faut compter à peu près trois années, de répétition.

Si vous pratiquez moins de 6 jours sur 7 et de manière aléatoire, il faudra compter plus de cinq années.

Dans le joli monde de l’Ashtanga Vinyasa Yoga, Sri Pattabhi Jois disait que la première série devait être pratiquée en moyenne 5 années avant de pouvoir passer à la deuxième.

Si vous faites une recherche google sur les professeurs que je viens de citer, vous allez remarquer qu’ils pratiquent le yoga depuis plus de 20 ans. Que leur feuille de route est longue, que la liste des professeurs qu’ils ont croisé sur leur chemin est énorme. Que pour la plupart ils sont tous partis à la recherche de « soi », qu’ils ont tous fait au moins un Vipassana voir plusieurs, et que très souvent ils repartent sac à dos pour des voyages à l’autre bout du monde afin d’y explorer leur potentiel.

Bref on parle de yogis expérimentés, qui après plusieurs années de pratique peuvent maintenant s’asseoir sur leur renommée et distiller leurs bons conseils en partageant leurs pratiques et connaissances.

Revenir aux bases

J’avais déjà écrit un article dans lequel je me demandais mais où étaient passées les postures au sol ? Tous les cours de flow que l’on peut voir sur internet, proposent des postures debout, puis sans trop savoir pourquoi on se retrouve en équilibre sur les avant bras, pour passer ensuite sur une planche sur le côté, qui n’est autre que la posture de Vasisthasana, qui à titre d’information (je dis ça, je ne dis rien) n’est pratiquée que dans la troisième série de l’ashtanga Vinyasa Yoga.

Vous allez me dire « mais je peux faire cette posture », oui bien sur tout le monde peut la faire, en revanche pouvez-vous la garder plus de 7 respirations sans bouger ? Pouvez-vous enchainer un Vinyasa de chaque côté sans jamais mentir à Chaturanga Dandasana ?

Mais revenons aux bases tout bêtement, pouvez-vous faire 20 chaturanga Dandasana sans poser les genoux au sol une fois, sans vous écrouler sur le tapis une seule fois, sans y faillir une seule fois ?

Je ne parle pas d’enchainer 20 à la suite, mais bien d’un Vinyasa entre chaque posture.

De mon expérience personnelle, des élèves que j’ai pu croiser sur ces dernières années, la réponse est non.

Pour autant tout le monde sera partant pour un équilibre sur les mains.

La posture de Parivritta Parshvakonasana, sera enseignée le plus souvent avec le talon de la jambe arrière décollé.

Parshvakonasana B - Iyengar

Parshvakonasana B – Iyengar

Très rarement, je l’ai vu enseignée et pratiquée de manière traditionnelle. Sauf en Ashtanga Vinyasa Yoga.

De la même manière Virabhadrasana I sera souvent enseigné avec un talon arrière décollé.

Virabhadrasana I Iyengar

On vous dira qu’il faut protéger le genou, que l’alignement doit être ainsi et pas comme ça.

Or plus vous pratiquez avec un talon décollé, et moins vous travaillez la souplesse de la cheville.

Moins vous pratiquez la souplesse de la cheville, plus la douleur des genoux prendra place et vous éloignera de toutes les postures en lotus (Padmasana) et par la même, vous empêchera d’explorer les ouvertures de hanches dans toutes ses dimensions.

Et pourtant, le moment où il y aura un atelier de flexion arrière, vous serez peut être le ou la première à aller vous y inscrire, car c’est vrai, les flexions arrière c’est top.

Mais pour autant, est-ce que votre corps est prêt à se plier dans ce sens ?

Est-ce que les flexeurs de hanches sont assez forts pour vous faire revenir d’une flexion arrière sans tomber dans les lombaires ?

On ne le saura pas forcément tout de suite, mais peut être plus tard dans 4 ou 5 ans quand on vous aura déclaré une jolie hernie discale.

Mais dans l’immédiat, vous serez content, car dans votre super cours de yoga vous aurez fait en plus d’un équilibre sur les mains, un back bend avec le mur, les briques et les sangles (veuillez noter que je ne parle pas de la pratique Iyengar avec un professeur certifié Iyengar qui aura fait une formation de cinq années !).

Je consomme, tu consommes, on consomme

Tout le problème est là.

On veut se faire « du bien », mais on n’a pas la patience de comprendre que le corps aime prendre son temps pour réaliser des postures avec maitrise qu’il aura imprimé dans le système nerveux après les avoir répétées une centaine de fois.

On veut ouvrir nos chakras, sans jamais comprendre que pour ça il faut pouvoir rester assis 30 minutes pour pratiquer des pranayamas, rétention de souffle, bandhas et éventuellement chakras. Ce qui peut prendre plusieurs années.

On veut avoir un joli corps, sans pour autant oser faire les kriyas que proposent le Hatha Yoga car c’est dégoûtant, se faire vomir avec de l’eau salée, non c’est pas cool et pas glamour du tout. Le Sutra Neti dans le nez, non ce n’est pas hygiénique ça repasse par la bouche, quelle horreur !

Mais on veut notre photo en équilibre sur les mains, même si on le tient que deux secondes.

La plupart des cours ont oublié les bases.

La plupart des gens trouvent ça « chiant » un cours où l’on répète les mêmes postures, c’est barbant, pas original, en plus il n’y a pas de musique.

Il faut maintenant pouvoir divertir les élèves pour que le studio fonctionne, il faut pouvoir mélanger les styles, on met du Yin avec du Yang et tout le monde est content. Et le jour où on se retrouve dans un cours traditionnel on descend de notre pied d’estale car on se rencontre en fait qu’on a aucune force dans les bras, aucune souplesse dans la cheville, que les poignets font mal et que les courbatures du lendemain vont invariablement vous éloigner de votre tapis pendant les prochaines 72 heures.

On a oublié que les Salutations au Soleil sont l’échauffement et la préparation d’une pratique de yoga.

On a oublié qu’il faut autant de postures debout qu’au sol, que le corps doit travailler en flexion avant, flexion arrière, flexion latérale, rotation, ouverture de hanches, postures asymétrique, supination, pronation, inversions.

Il n’est pas rare de passer directement à des postures inversées après 15 minutes de pratique.

On n’a pas compris que les flexions arrière sans les torsions ou twist seront probablement moins efficaces, car on ne voit plus le corps dans sa globalité.

On s’imagine que pour devenir souple des hanches, il faut coller sa jambe contre un mur, avec ou sans sangle et rester des heures ainsi.

La médecine occidentale soigne la maladie. La médecine orientale soigne l’individu.

Le yoga que nous proposons n’est basé que sur la capacité à faire et démontrer une posture.

Alors qu’il devrait être basé sur la capacité d’évolution du corps pour aller vers la posture. C’est la posture qui doit intégré le corps, et non le corps qui doit se plier dans tous les sens pour y forcer l’entrée.

Mais pour ça il faut y aller par étape, ouvrir petit à petit chaque articulation, libérer chaque petit bandha qui se trouve aux chevilles, aux genoux, aux hanches, au bassin, à la cage thoracique, aux poignets, aux coudes, aux épaules, à la nuque, à la mâchoire.

C’est le travail d’une vie, ça ne se fait pas sur un mois, mais sur plusieurs années de répétition du même mouvement, de la même routine à laquelle on ajoutera un peu plus d’intention à chaque nouvelle pratique.

Mais ça c’est chiant.

C’est pas vendeur.

C’est long et c’est pas motivant.

Je trouve ça dommage…..

Namaste,