Ce matin pendant ma pratique, je me suis rappelée d’une situation que j’ai vécue l’année passée pendant un stage de Thai Yoga Massage à Ténérife.
Nous étions en binôme, et un exercice du toucher nous était donné. Nous devions apprendre et essayer de toucher sans toucher. La main au-dessus de la peau, à bonne distance, pour que la personne puisse ressentir notre chaleur. Ensuite une fois la chaleur posée, ou le non contact installé, nous devions la diffuser sur l’ensemble du corps, en commençant par les épaules, puis descendre vers le coude, le poignet, la main.
La même chose devait être répétée pour le bas du corps.
C’est un exercice que je trouve difficile. Tout d’abord quand le professeur nous l’a montré sur un élève, celui-ci est ressorti de la séance tout sourire, en expliquant qu’il avait bien senti les énergies bougées et surtout qu’il avait bien ressenti l’énergie que le professeur lui envoyait, même si la main n’avait jamais été posée directement sur lui.
La barre était donc haute. L’attente aussi.
Dans ce genre de cours il est évident que lorsque le professeur vous prend comme modèle, la réponse que vous devez y donner une fois la « thérapie » reçue doit être positive. Sinon cela voudrait dire que le professeur n’est pas qualifié, qu’il n’a pas fait son travail correctement et de manière générale tout est tellement subjectif que vous savez de façon (in)consciente et quelque soit le soin reçu, que votre réponse devra être positive. Sinon à quoi bon…. du coup l’avis de l’élève est un peu faussé.
Je me rappelle il y a une quinzaine d’année, pendant ma formation de Pilates, un thérapeute holistique était venu nous rencontrer et avait prodigué un soin « soit-disant » magique envers une élève qui consistait à lui permettre une meilleure ouverture de hanche sur le côté gauche. Il a fait quelque manipulation, et l’élève se plaignait de cette douleur depuis plusieurs année. Elle était donc une cible parfaite. Miraculeusement, et devant nos yeux ébahis, après cette manipulation elle était soudainement guérie….. ce qui nous a toute poussée bien évidemment à prendre des soins avec cette personne, qui avait des prix très élevés, en cash, et qui au final ne faisait pas grand chose. Par exemple je nourrissais un énorme espoir sur ma mâchoire qui était déplacée suite à une opération des dents de sagesse, et après des manipulations censées me la remettre en place, si ce n’est une douleur mandibulaire, mon problème persiste toujours….
Mais revenons à Ténérife.
J’étais donc en binôme avec une personne qui transportait en elle un profond mal être. Comme l’exercice était de transmettre sa propre énergie je me suis mise en condition « maternelle », c’est-à-dire que lorsque j’ai positionné mes mains au-dessus de l’épaule, je tentais de propager une chaleur douce, rassurante et confortante. A un moment donné quand j’ai cru sentir une chaleur, j’ai commencé à faire bouger mes mains sur l’ensemble du bras. Exercice difficile pas seulement pour la concentration que cela demande, mais aussi physiquement car positionner ses mains au-dessus de quelqu’un sans jamais le toucher demande quand même un certains effort. D’autant plus que vous êtes au sol, à genoux et que vous devez diffuser votre chaleur en bougeant doucement sans déranger la personne. Je précise que non ce n’était pas une séance de Reiki même si cela pu y ressembler. Une fois la séance de 30 mins terminée, la personne qui a reçu votre traitement vous donne son impression. En l’occurence elle avait senti ma chaleur, elle était toute sourire et m’a remercié chaudement.
Ce qui a conforté mon ego.
Ensuite je suis devenue « receveur », c’était à elle de me faire le traitement. Au début cela a été très difficile, elle avait les paumes des mains très moites et je sentais ses doigts froids effleurés ma peau, du coup elle a arrêté le traitement les larmes aux yeux en me disant que c’était difficile pour elle. Je l’ai rassuré en lui disant que ce n’était pas grave, que je n’avais pas senti ses doigts, que ça ne m’avait pas dérangé (ce qui en soit était faux mais face à son désarroi je voulais la rassurer).
Elle n’arrivait pas non plus à trouver sa place. Du coup elle s’est concentrée que sur le haut du corps et elle bougeait les mains tellement vite que je pouvais sentir l’air se déplacer. Le professeur est venu la voir pour lui montrer comment faire. Après son intervention elle était encore plus perturbée et avait perdu toute confiance. Finalement elle a arrêté de bouger les mains, et a gardé tout simplement une position assez en retrait au-dessus de moi.
Le moment du « feed back » arrive. Je dois donc lui dire ce que j’ai ressenti. En vrai rien, absolument rien si ce n’est des doigts humides. Mais quand je vois son visage dépité je n’ai pas le courage de lui dire la vérité. Alors je mens. Peut être trop. Je lui raconte que j’ai bien senti une chaleur, que mon épaule douloureuse au demeurant l’est beaucoup moins (j’ai une bursite), et je la rassure en lui disant qu’elle a bien fait de ne pas trop bouger car ce qu’elle m’a donné était parfait. Là je vois un grand sourire sur son visage, elle n’a plus les larmes aux yeux, et en moi même mon ego est à nouveau flatté car en agissant ainsi ça me conforte en me disant que j’ai fait une belle action…
Puis arrive le moment final du cours où chacun de nous doit expliquer ce qu’il a ressenti pendant le traitement, donc le moment ou l’on glorifie notre partenaire en somme, en toute bienveillance.
Elle veut parler la première. Soit.
Et là, la phrase qu’elle sort : « I gave BETTER than I received »….. en français « J’ai donné beaucoup mieux que ce que j’ai reçu« ….. L’intonation de sa voix teintée d’arrogance et de satisfaction était telle que les autres élèves et le professeur ont laissé échappé un « wow »…. mais pas un wow genre super t’es la meilleure, plus un « wow » de « ah oui quand même »…..
Moi je suis tout simplement estomaquée, je n’en reviens pas de tant de condescendance, même si en moi même je me dis, c’est pas grave, c’est une personne très mal dans sa peau, mais là à ce moment exact je me dis qu’elle m’utilise pour me piétiner afin de mieux remonter.
Du coup le professeur me regarde et me demande mon retour quant au traitement qu’elle m’a donné. Je la vois, elle en coin de l’oeil toute fière en train de se lisser les cheveux et d’humidifier ses lèvres, prête à rugir de plaisir en écoutant ce que je vais dire, avec l’espoir que je répète exactement ce que je lui ai dit, or non je n’en n’ai pas envie. Je regarde le professeur et je dis « Hum… c’était okay, sans plus ». Je sais ce qu’elle veut entendre, et je n’ai pas envie de la satisfaire. Elle essaie de dire « mais je lui ai guérie son épaule », manque de bol, une autre élève veut témoigner à son tour et comme le temps imparti à notre binôme était écoulé elle n’en n’a pas eu l’occasion.
J’ai passé le restant de la soirée choquée. Et je me suis posée des questions sur la vérité. Fondamentalement cette personne était très mal dans sa peau, preuve en est que personne n’avait vraiment envie d’être avec elle car les sujets tournaient autour d’elle dès lors qu’elle ouvrait la bouche. Elle avait une faculté à s’immiscer dans les conversations et à tout ramener à elle. De plus, pendant les pratiques de Thai Massage personne ne voulait être avec elle, car ses manipulations étaient soit molles, soit trop douloureuses. Quand elle pensait bien faire suite aux encouragements du professeur, elle nous prodiguait alors à son tour ses conseils pour comment « bien la masser ELLE »….
Pour nous faciliter la tâche, elle avait une faculté tellement rapide à pleurer, que le premier jour nous étions autour d’elle pour la rassurer « oui tu es à ta place » et le dernier jour elle était effectivement à sa place mais seule sur le canapé.
Personne ne parlait à mal d’elle, mais de manière naturelle nous nous en éloignions sans même nous consulter.
Du coup si nous avions tous été très franc, nous lui aurions dit que son comportement était le reflet du notre. Ou l’inverse. Si je lui avait dit que l’exercice avait été nul et que je n’avais rien ressenti est-ce que cela l’aurait aidé à avancer ? Non. Par contre de son côté elle n’a eu aucun soucis ni même aucune éthique à m’enfoncer pour pouvoir se glorifier. Pour autant est-ce que cela l’a vraiment aidé à avancer ? Je ne pense pas non plus.
Du coup cela est très révélateur de nos comportements. Nous mentons de manière naturelle pour ne pas blesser l’autre, mais est-ce que l’autre a autant de bienveillance face à nous ?
Combien de fois dans notre vie avons nous menti par manque de confiance en soi ?
Cette expérience et ce souvenir m’ont rappelés le nombre de fois où je me suis mise en retrait par peur, et où les autres ont utilisé cette peur pour mieux briller. Je ne pense pas être la seule dans ce cas. Je pense que c’est une situation vécue chez pas mal d’entre nous qui se pose des questions quant à notre légitimité de faire, dire, enseigner ceci ou cela.
La bonne nouvelle c’est qu’avec le recul suffisant on peut s’en rendre compte ce qui nous permet d’avancer sans reproduire ces schémas.
La mauvaise nouvelle est de ne jamais s’en rendre compte et d’arriver à une perte de confiance en soi, où l’on remet tout en question car la peur nous tenaille l’estomac. De cette crainte viscérale naîtra la comparaison. On aura tendance à penser qu’untel en sait plus que nous alors que si nous prenons vraiment le temps d’examiner et d’analyser, au final on s’aperçoit assez vite que nous en savons autant voir plus.
Je finirai par une phrase de Robert M. Pirsig, écrivain américain qui a écrit entre autre « Zen in the Art of Archery » :
« Tout effort qui a la glorification de soi comme point final, est voué à se terminer par un désastre« .