Il s’agit ici de renaissance, mort de l’ego, un lâcher prise total, que l’on ne peut pas contrôler.
Nous sommes au deuxième jour de la retraite chamanique.
Aux grands maux, les grands remèdes, proverbe du 19ème siècle. On entend tout le temps ou souvent, en tout cas dans le milieu dans lequel j’évolue à savoir le bien être qu’il nous faut lâcher prise.… et à chaque fois que j’entends cette phrase, au demeurant courte et constituée de 3 mots, je ne peux m’empêcher d’avoir les yeux qui roulent avec un mantra qui résonne dans ma tête « blablablabla »…. cette phrase ne veut rien dire, ou alors on la fanfaronne pour tout et n’importe quoi. Vous n’êtes pas bien dans votre vie : il faut lâcher prise. Votre projet n’avance pas : c’est parce que vous n’avez pas lâcher prise. Cela devient une injonction des temps modernes, personne ne nous apporte de solution vraiment concrète, si ce ne sont les rituels à deux balles comme marcher pieds nus en forêt, faire un jeûne, prendre un bain glacé etc. Et si tout ça ne fonctionne pas, bien en gros c’est de votre faute car devinez quoi? « vous n’avez pas lâcher prise »….
Lâcher prise, c’est arriver à s’oublier, c’est pouvoir se donner à ou vers quelque chose ou quelqu’un, et arriver à le faire c’est tout simplement difficile voir impossible car les barrières qui nous entourent sont certes invisibles, mais bien présentes.
Dans le cas présent de ma recherche spirituelle et de ma quête, c’est ce qui doit arriver. Et l’un des moyens utiliser c’est tout simplement de s’empoisonner pour tomber « malade » mais temporairement, dans un cadre contrôlé on s’entend, puis vomir à s’en décrocher les côtes. Guérir le mal par le mal. Et ça c’est le travail du Kambo.
Qu’est ce que le Kambo ?
On le doit à une grenouille plutôt sympa, qui ne demande rien à personne, que l’on capture temporairement, pour extraire de ses muqueuses, un poison, que l’on va appliquer ensuite sur la peau. Le site Kambo Nomad en parle très bien :
Le Kambo, également connu sous le nom de Sapo ou Dow-Kiet, est la sécrétion naturelle de la peau d’une grenouille nommée la rainette singe, connue sous son nom scientifique Phyllomedusa bicolor (Phyllomedusa signifie « gardien de l’arbre »), qui vit dans les forêts tropicales de l’Amazonie supérieure au Pérou et au Brésil. Le Kambo est utilisé depuis des milliers d’années par de nombreuses tribus amazoniennes telles que les Matsés, les Kaxinawas, les Katukinas et les Yawanawas pour purifier, renforcer et dynamiser les esprits et les corps des chasseurs, comme un remède naturel pour diverses types d’infections et comme un moyen de dissiper les énergies sombres ou négatives. Plus récemment, le Kambo a commencé à être utilisé partout dans le monde comme une substance naturelle pour aider toutes sortes de problèmes de santé physique et psychologique, et beaucoup de personnes font l’éloge de son potentiel de guérison. Les grenouilles ne sont pas lésées pendant la récolte de la sécrétion et l’ensemble du processus repose sur les connaissances ancestrales et le traitement éthique et respectueux de l’animal. Le Kambo utilisé par Kambo Nomad est puisé directement et dans les règles de l’éthique auprès de la tribu de Matsés, et l’IAKP travaille en relation étroite avec eux à travers le Fonds Matsés.
Voir le site de Kambo Nomad
Alors on pourrait se poser la question de savoir si la grenouille souffre mais comme elle ne parle pas et ne fait pas de bruit pendant la procédure qui consiste en premier à la traquer (c’est un animal ou amphibien sauvage rappelons le), à l’immobiliser (on peut voir des photos de ladite grenouille joyeusement les 4 pattes écartées, attachées entre 2 sticks en bois positionnés en forme de croix), nous en tant qu’être humain, amoureux de médecines ancestrales et respectueux de la nature, en avons déduit, que non elle ne souffre pas, et qu’elle serait même d’accord. Après tout si la nature lui a donné ce poison qui peut être utile pour l’humain, alors forcément on peut la déranger de son habitat naturel sans problème, d’autant plus que la demande devient grandissante, donc ce serait vraiment dommage de se priver de ce que la nature nous offre si gentiment… il en sera de même pour le Bufo Alvarius qui lui est un crapaud.
Bien évidemment toute cette petite routine que l’on a fait subir à la grenouille, en tant que participant à une retraite chamanique, qui nous unit donc à l’Univers (j’espère que vous notez les pointes d’ironie dans le texte), on ne voit pas tout ça. Le Kambo est déjà prêt à être utilisé.
Comment ça se passe ?
Première consigne : boire beaucoup beaucoup beaucoup.
Ensuite on brûle la peau avec un stick, qui ressemble à un bâton d’encens, pour y faire 7 à 9 points, ensuite on gratte la peau, puis sur chaque plaie on y pose le poison. Une fois le poison en place, le chaman vient asperger d’eau avec un petit spray chaque point (je l’ai fait une fois au bras gauche, et la deuxième fois en haut du trapèze gauche) pour relancer l’effet du poison.
Lors de ma première séance j’ai eu 7 points. Pour ma deuxième séance faite durant ma deuxième retraite j’ai eu 9 points. Une fois que le poison est appliqué, il est recommandé de boire encore plus.
La première sensation n’est pas confortable, en fonction d’où vous choisissez de mettre les points, il y a des endroits plus ou moins douloureux et de toute façon se faire brûler la peau même si on est consentant, ce n’est pas super agréable.
Ensuite la première réaction est que le corps gonfle, votre visage gonfle, les lèvres gonflent ce qui rend difficile le fait de boire, tout gonfle, c’est normal c’est la réaction du corps qui se défend face au poison. Puis à ce moment, en fonction de ce que vous avez bu en terme de quantité d’eau, et surtout, surtout, surtout, en fonction de ce que vous ACCEPTEZ de lâcher, vous commencez à vomir.
Première séance de Kambo : Je ne me sens pas super bien c’est normal, mais je n’arrive pas à vomir….. alors je me mets debout, le chaman me dit de boire, à ce stade je ne l’écoute plus, je suis trop mal. Je tiens à préciser que l’encadrement est vraiment top. L’organisateur (j’en ai un peu marre d’utiliser le mot chaman) est très professionnel, et sait exactement ce qui doit être fait. Donc il arrive avec son spray, hydrate mon bras avec de l’eau et là, une chaleur intense envahit mon visage…… je cours aux toilettes, alors que j’avais une bassine à côté de moi, pour aller vomir…. mais mon corps a envie de s’amuser on dirait….. pendant que je vomis j’ai envie de soulager mes intestins…. mais j’ai aussi envie de continuer de vomir, entre les deux mon coeur balance… je me retrouve la tête dans la cuvette, la culotte descendue, je vomis gaiement tandis que mes intestins insistent lourdement pour se joindre à la fête. Je suis dans l’incapacité totale de sortir pour demander une bassine, car je ne suis plus présentable, alors j’essaie d’alterner les deux, ce qui je vous l’accorde est extrêmement difficile à tenir en terme de cadence, de coordination et surtout de proprioception….. vous voyez le tableau?
On vient cogner à la porte pour voir si je vais bien, je râle un oui…. un autre participant veut aller aux toilettes, car sa bassine est pleine, je m’en fous, je ne suis pas en état de négocier quoique ce soit.
Puis après 15 minutes qui m’ont semblé une éternité, comme je suis aux toilettes, loin de ma bouteille d’eau, je n’ai pas assez bu, du coup je n’arrive plus à vomir. Je me dis que c’est ma première fois, et que je m’en suis bien tirée. Puis de toute façon mes préoccupations sont ailleurs, il faut que je nettoie le joli bordel que j’ai fait.
Ma seconde expérience de Kambo sera dix fois mieux (à lire dans un autre article). Elle sera « mieux » car j’ai compris comment faire et que je n’aurai aucun problème dorénavant à vomir dans une salle pleine de gens qui font autre chose comme bouffer des pommes, pendant que d’autres se tordent de douleur au-dessus d’une bassine. Oui la retraite chamanique casse bien des barrières.
Une fois la tempête passée, je sors des toilettes que j’ai laissé absolument rutilantes, soit dit en passant, mon pantalon lui par contre est moins glorieux. Je m’éclipse dans ma chambre pour prendre une douche.
Quand je reviens dans le monde des vivants, on me demande si ce que j’ai vomi était jaune…. alors là je ne sais pas car j’ai vomi dans la cuvette des toilettes et qu’il y avait déjà de l’eau, donc à mon sens c’était jaune clair. J’apprends que l’on vomit essentiellement la bile du foie, c’est un nettoyage profond du système lymphatique et du foie. Quand je regarde le contenu des autres bassines des participants le liquide est effectivement jaune, et ne sent pas le vomi de fin de soirée. L’ensemble me laisse perplexe mais personnellement je me sens super bien. Et tout ceux qui ont participé aussi, donc il est temps de manger. Avant de passer au Bufo Alvarius….
Il doit être 11 heures, j’ai fait le Kambo à 9 heures, et je n’ai pas mangé depuis trois jours…. Je n’ai pas faim…. malgré tout je me force à manger. L’ambiance est super cool, on reparle de nos expériences, pour la plupart c’est notre grande première fois, pour deux ou trois autres personnes c’est leur quatrième ou cinquième fois… bien sûr tout débutant que nous sommes on leur demande « mais pourquoi vous en faites autant » et la réponse est que c’est un travail sur le long terme. Plus on participe à l’ayahuasca et à ces médecines, plus on se soigne et plus on arrive à se dépouiller. Je ne suis pas encore au stade dépouillement et j’ai encore de grosses barrières mais j’accueille leurs explications.
A ce stade, même si j’ai vomi, je suis toujours dans l’attente de la vision qui me permettra de voir ce que je ne vois pas. Pour le moment je ne suis pas encore convaincue sur les effets du chamanisme, car je n’ai pas eu de voyages à proprement parlé. Je suis entre le scepticisme des bienfaits hallucinogènes et psychotrope sur le cerveau car je ne les ai pas encore vécus, et un bien être général qui en soit ne m’apporte que du bon.
Et à ce moment, je ne sais pas que ma vie à 11 heures et mes opinions, vont drastiquement changés à 14 heures….. Comme je n’ai aucun point de référence et que je n’ai absolument aucune idée de ce qu’est le Bufo Alvarius, j’écoute avec attention ce que l’organisateur nous explique quant au déroulé de la session, et j’ai zéro appréhension. Je reste attentive, mais j’y vais sans me poser de question.
Première prise Bufo Alvarius
Alors qu’est-ce que c’est ? C’est aussi un poison mais celui vient d’un crapaud. Petite définition Wikipédia :
Caractère psychotrope
La peau de l’animal sécrète un dérivé de la sérotonine, la 5-HO-DMT qui est un psychotrope hallucinogène mis en évidence en 1968.
Les sécrétions sont fumées, voire parfois ingérées.
Aux États-Unis, des campagnes ont dû être engagées afin de préserver cette espèce dont les peaux se vendaient séchées dans ce but. Il s’agissait de protéger l’animal contre un usage qui avait explosé à la suite de plusieurs mises en avant médiatiques, en précisant qu’il n’était pas nécessaire de le tuer pour récolter la substance3.
En terme de DMT on atteint ici des sommets.
Comment ça se passe ?
On commence déjà par préparer le lieu. Contrairement à la prise d’ayahuasca où nous étions tous proche les uns des autres, pour la cérémonie du Bufo nous sommes assez éloigné et confortablement installé. Et je comprendrai mieux pourquoi lors de ma troisième prise durant ma deuxième retraite (qui fera vous vous en doutez l’objet d’un autre article).
Alors quand je dis « nous » c’est une participante et moi-même, nous ne sommes que deux à le faire. Les autres préfèrent nous regarder….
La sécrétion du crapaud est séchée et placée dans une pipette en verre, la quantité dépend, je ne sais pas combien j’en ai eue. La pipette est chauffée au briquet et pendant qu’elle chauffe on place la bouche sur le bout. Puis il faut inspirer, inspirer, inspirer, inspirer, inspirer. Pendant toute la procédure, c’est le chaman qui tient la pipette et qui vous guide en disant encore, encore, encore, encore, ensuite on garde la fumée dans les poumons et techniquement on expire. Sauf que toute cette partie de l’expiration je ne l’ai pas vécue.
Je me suis allongée sur le dos, les bras en croix, les jambes ouvertes, la tête tournée à droite, le regard fixé sur un arbre.
Sur ses feuilles.
Sur les rainures de chaque feuille.
Sur la sève qui coulait dans chaque rainure de chaque feuille.
Sur les molécules de la sève qui se fondait dans chaque atome des rainures de chaque feuille….
… vous l’aurez compris, je suis partie….. loin…… très loin…… très très trèèèèèèèèèèèès loin…..
Pour garder une partie de conscient ou subconscient « présent », le chaman faisait teinter des petites cymbales tibétaines, qui à chaque son m’emportait loin tout en m’accompagnant. Ce que j’entendais étaient indescriptibles. En philosophie on demande aux élèves si le miel est sucré, ils répondent oui, puis on leur demande est-ce que vous pouvez expliquer le « sucré », et là c’est le blanc total. Et bien c’est le cas, je ne peux pas expliquer les sons car ce sont des sons que je n’ai jamais entendu ailleurs et qui n’ont rien à voir avec des acouphènes.
Je ne peux pas expliquer où je suis allée, car je n’ai jamais rien vu de tel et tout ce que j’ai vu est tellement inconnu que les mots n’existent pas pour le définir. Je me souviens en revanche avoir eu cette réflexion « ah ça y est, tu l’as ton expérience chamanique », et de là je suis partie. Le ciel était d’une texture non identifiée, non indentifiable.
J’ai senti mon corps, toutes mes tensions, dans absolument chaque articulation, du petit orteil à la dernière cervicale, et en ressentant chaque partie de mon corps je me suis aperçue que je m’accrochais. Alors j’ai tout lâché, c’est incroyable de ressentir tout ce que l’on accumule au fil des années de notre existence. Une première couche s’est envolée, puis une deuxième, j’avais la sensation d’être aspirée.
Toutes les tensions se sont relâchées une à une, ce qui a eu pour effet de m’enfoncer dans le sol, plus je relâchais et plus je m’enfonçais, plus je m’enfonçais et plus j’acceptais littéralement de mourir, j’étais partante et en parfait accord avec moi même. J’ai souri tout le long, j’ai été calme tout le long, personne ne m’a entendu. J’étais enveloppée dans le ciel, puis doucement je suis revenue. J’ai vu un oiseau s’envoler de l’arbre en question au même moment. Et okay je vais balancer le fameux cliché, mais quand l’oiseau s’est envolé j’ai eu l’impression qu’il prenait avec lui tout ce que j’avais laissé derrière. Plus tard j’ai aussi interprété ce moment comme un nouveau départ.
J’ai ramené mon attention dans la pièce où j’étais et le bois du chalet, les poutres étaient vivantes. Puis j’ai descendu mon regard vers S. qui me regardait avec un grand sourire. Il m’a dit « bienvenue ». Et j’ai ri, puis j’ai pleuré en silence. C’est lui qui m’a dit que j’étais calme, que je n’avais pas bougé et que pendant tout le voyage de 15 à 20 minutes je suis restée souriante et apaisée. Mon visage a drastiquement changé. Je vous assure que oui. J’avais des crampes énormes dans la mâchoire tellement elles étaient relâchées, le nombre de crispations que l’on peut avoir dans les muscles du visage, est impressionnant. Mes joues me faisaient mal. Et j’étais dans un état de béatitude constant.
Tandis que de mon côté j’ai passé un incroyable moment, l’autre participante a vécu l’enfer. Quand je suis revenue complètement à moi je suis allée vers elle et je l’ai vu la tête dans la bassine, les larmes aux yeux, vomir tripes et boyaux, se torde de douleur sur le matelas. J’ai été vachement surprise de voir comment d’une personne à l’autre l’expérience pouvait être soit proche du divin, soit proche des abysses. Je lui ai demandé si tout allait bien et elle m’a dit qu’elle n’avait pas osé « y aller ». Elle avait eu peur et était entrée en grande résistance. En moi-même et par ailleurs aussi à haute voix, j’ai pensé « wow, mais comment a t’elle a pu résister à une force aussi puissante ? ». Personnellement je n’ai pas eu le choix, quand j’ai gardé la fumée dans mes poumons, je suis partie directement en super première business class. Et plus rien n’avait d’importance, plus rien de ce que je pensais avoir de l’importance n’avait en fait absolument aucune importance. La plupart raconte qu’ils ont vécu un état d’amour incroyable, ce ne fut pas mon cas. Mon ressenti se rapproche d’une mise à nue, j’ai senti des douleurs, des énormes tensions, des émotions cachées au plus profond de mon être, littéralement s’envoler. Je ne pourrai pas les identifier, ni les ramener à un moment précis de ma vie passée, mais mon corps entier s’est détendu et ce de l’intérieur. Du centre. D’ailleurs je me rappelle avoir eu une énorme crampe à la cuisse gauche quand je me suis réveillée.
C’est vrai que je comprends tout à fait ce qu’elle a ressenti et ce qui lui a fait peur. Vous vous sentez aspirer vers le bas, une force invisible vous tire à elle, et quand je parle de force je pèse mes mots, c’est sans doute comparable à une chute libre sans fin.
Ce que je trouve absolument incroyable c’est de pouvoir partir dans cet état profond d’extase et d’en revenir aussi normalement que si vous étiez sorti chercher le pain à la boulangerie. Enfin ça c’était pour ma première expérience, car la troisième expérience aura duré beaucoup plus longtemps (45 mins) et il m’aura fallu plus d’une heure pour revenir à un état normal (dans un prochain article).
Après la séance j’étais bien, je me suis regardée dans le miroir et j’étais lumineuse, je commençais à voir mes yeux, et surtout à les reconnaître, à me reconnaître. J’ai alors senti que le chemin ne faisait que commencer. Puis j’ai été prise d’une furieuse envie de dormir. Mais 6 heures avant la prochaine cérémonie il fallait manger, alors nous nous sommes mis à table et on a partagé un super repas. Puis je suis allée m’écrouler sur mon lit et j’ai dormi d’un sommeil calme, sans rêve.
Je me suis réveillée aux alentours de 17 heures, en fait je n’ai dormi que deux heures, alors que j’ai eu l’impression d’en dormir 12 ! Le temps n’avait plus la même cadence. Je n’ai pensé à rien du tout. J’ai lu. Puis à 21 heures en route pour la deuxième cérémonie d’Ayahuasca.