Confession d'une ashtangi

Confession d’une Ashtangi

La photo qui illustre cet article est une photo de mon ventre en 2019. Le reste du corps suivait. J’étais devenue extrêmement sèche, tant et si bien qu’à un moment donné de cette descente spectaculaire de poids, je pouvais voir absolument toutes les veines de mon corps tant sur mon ventre, que sur mes bras, qu’au niveau des épaules, du haut des cuisses et des pieds. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, c’est plus tard au Vietnam. Avant ça j’étais partie au Népal pour aller pratiquer avec Mark Robberds, en amont j’étais à Bangkok pour aller pratiquer avec Boonchu Tanti, et en amont d’en amont, en Inde à Mysore où je terminais mes dernières pratiques avec Sharath Jois.

Je suis partie m’installer en Inde en 2013 et l’environnement dans lequel j’évoluais était celui que je cherchais, sauf que je n’y avais pas ma place et je l’ai compris plus tard. Alors pour combler ce manque je me suis dis que j’allais trouver ma place ailleurs et j’ai choisi « le monde » de l’Ashtanga Vinyasa Yoga. Pour autant je n’y ai pas trouvé ma place non plus…

Quand j’ai remarqué l’importance qu’allait prendre l’Ashtanga Vinyasa Yoga dans ma vie en 2016, j’ai commencé à documenter mes pratiques sur un blog, que je rédigeais en anglais : Diary of an Ashtangi.

Depuis j’ai écrit d’autres articles sur ce site même. Il est intéressant pour moi de relire mes ressentis, de voir l’évolution et le changement de point de vue face à la pratique de l’Ashtanga Vinyasa Yoga.

Ce que j’ai trouvé : la rigueur. Et cette rigueur était ce dont j’avais besoin car en mouvement constant pendant 10 ans j’avais besoin de stabilité. Puisque je ne pouvais pas la trouver géographiquement parlant, et que je voyageais seule, j’en ai profité pour aller pratiquer avec tous les professeurs d’Ashtanga que je considérai comme la crème de la crème.  A mes yeux cette pratique était la seule qui valait la peine.

Ce que je n’ai pas trouvé c’est une famille. Malgré mes nombreux stages, immersions, pratiques, de Mysore à Goa, de Bangkok à Pattaya en passant par Kho Panghan, de Stockhlom à Rethymno, de Ubud à Canggu, avec un grand détour à New York pour rencontrer Eddie Stern, je n’ai noué aucune amitié sur le long terme, ni gardé contact avec des pratiquants que je rencontrai au détour d’un tapis. On se parlait à un instant T et chacun reprenait sa route.

Pendant le confinement j’ai suivi des cours de Mark Singleton sur zoom et durant l’un d’eux une française m’a contactée en message privé. Dans la discussion elle me dit qu’elle allait souvent à Mysore pour aller pratiquer avec Sharath, on ne s’est jamais rencontrées sur place, je ne la connaissais pas et était visiblement surprise que ce soit le cas… Alors elle me dit « c’est bizarre car Sharath me présente toujours les français quand ils sont à Mysore ». Ce qui sous entendait :

  1. es-tu certaine que tu as pratiqué à Mysore?
  2. j’entretiens une relation particulière avec Sharath.

J’ai trouvé ça extrêmement prétentieux de sa part et en même temps je n’étais pas plus surprise. Il existe effectivement une certaine élite dans le monde de l’Ashtanga Vinyasa Yoga. Celle qui se tape dans le dos après chaque pratique, qui rigole aux plaisanteries de Sharath, qui fait la queue en fin de conférence pour aller lui baiser les pieds, qui est « autorisée » après un certains nombres d’années dit de reconnaissance (j’ai entendu dire qu’il fallait tout de même payer l’autorisation), qui dévoue sans détour à Sharath un culte universel.

Quand vous pratiquez avec John Scott, vous vous rendez compte que le culte se trouve du côté de Sri Pattabhi Jois et donc plus dirigé vers Manju Jois.

Quand vous pratiquez avec David Swenson, celui-ci vous parlera de Sri Pattabhi Jois toutes les 10 minutes et de Richard Freeman.

Quand vous pratiquez avec Kristina Karitinou l’intérêt sera dirigé vers Derek Ireland (c’était son époux).

Quand vous pratiquez avec Iain Grysak (mon professeur), ce sera Sharath Jois.

Ce qui m’interpelle ici c’est certainement la dévotion que ces professeurs entretiennent envers leur maître respectif, mais parfois je me suis posée la question si le fait de « rendre hommage à » ne servait pas aussi à asseoir leur autorité, à les rendre plus légitime. Ce qui est très contradictoire avec mon mode de pensée, car je déplore aussi le manque de transparence de certains pratiquants et professeurs qui utilisent des techniques venant d’autres, pour se les approprier.

Alors autant vous le dire tout de suite : tout a été fait dans la pratique dite du yoga. Personne ne peut rien inventer. Que ce soit au niveau des exercices de respiration, de comment enchainer des flows, de techniques de mobilité, de renforcement ou de secrets pour tenir sur les mains. Tout a été couvert depuis au moins 50 ans et ce que l’on voit passer sur les réseaux sociaux n’est au mieux qu’une compilation de l’ensemble, au pire une pâle copie de l’original, mais certainement pas de nouvelles techniques ou approches.

Kino MacGregor a commencé sa chaîne YouTube en 2011 et à partir de là les autres ont pu suivre avec l’avènement des réseaux sociaux. Sri Pattabhi Jois est décédé en 2009. La pratique de l’Ashtanga Vinyasa Yoga quant à elle était déjà popularisée par de nombreux professeurs : David Roche, Mark Darby, David Williams, André Van Lysebeth, Cliff Barber, Kathy Cooper, Nancy Gilgoff, Tim Miller etc. Cet enseignement a pris un envol planétaire.

Le poids

Revenons à la photo.

Ma pratique d’Ashtanga a atteint un niveau incroyable en 2019. Probablement dû au fait que je ne mangeais qu’une fois par jour, puis quand j’étais au Vietnam une fois tous les deux jours, pour passer à une fois tous les trois jours. Pour finir, j’étais arrivée au stade où je me devais d’afficher une note sur la porte de la cuisine m’indiquant de quand datait mon dernier repas…

Je ne me qualifierai pas d’anorexique, pour moi je mangeais. Après les pratiques, je descendais une noix de coco entière et je mangeais sa chaire. Puis dans la journée j’en prenais trois ou quatre et mes repas ont terminé à ne ressembler qu’à ça. Les jours de folie, je mangeais un ananas. Les jours où je ne mangeais pas, je buvais des tisanes et du café. Selon l’adage à Mysore : Coffee is Prana.

C’est un « problème » connu dans le petit monde de l’Ashtanga. J’ai vu des pratiquantes extrêmement maigres, dont une à Canggu qui faisait vraiment peur tellement elle n’avait que la peau sur les os. Elle aussi se nourrissait de noix de coco.

Plus les pratiques étaient intenses, plus la sueur perlait sur ma peau et mon tapis, plus j’étais contente et satisfaite. Je suis allée vers un extrême malgré moi, et cela s’est fait progressivement. Insidieusement.

La cerise sur le gâteau, étaient les encouragements de mes professeurs. A titre d’exemple j’ai été bloquée à Supta Kurmasana pendant un certains nombres de mois et un jour où je pliais mon tapis, Sharath est venu me voir pour me demander si j’avais attrapé « did you catch today » ? Piteusement, mais ravie de son attention, je lui ai répondu « no ».

Remettons dans le contexte cette scène.

Je suis à Gokulam, l’ancien shala, au milieu de tout le monde, sur un sol collant de sueur, en train de ranger mon tapis pour aller terminer la closing series dans les vestiaires (car pas assez de place dans le main shala : nous devions laisser l’espace aux autres élèves qui attendaient dehors).

Sharath Ji se trouve devant moi, avec un sourire et un regard transperçant. A cette époque je refuse d’admettre que j’attends son approbation sur l’ensemble de ma pratique (et potentiellement ma vie on s’entend), tout en étant subjuguée (influencée) par ses mots. Pour autant, à ma décharge, jamais je ne me suis baissée pour lui baiser les pieds.

Autour de nous une cinquante voir plus de pratiquants sont sur leur tapis en train de dealer leur pratique, et d’y mettre plus d’intensité car Sharath étant tout proche, il a le don incroyable de vous faire accélérer et accentuer votre Ujjayi. Bref. Je suis ravie d’avoir ce tête à tête (est-ce que tout le monde me voit ???).

J’attends son conseil avisé. Au lieu de ça, il me dit : « the reason why you can’t catch and bind Supta Kurmasana, is because of your thighs. They are too thick. You should stop walking or exercising after the practice. Take a rest »….. Traduction : « la raison pour laquelle tu n’arrives pas à attraper tes mains et mettre tes pieds derrière la tête dans Supta Kurmasana, est parce que tes cuisses sont trop grosses. Tu devrais te reposer après la pratique et ne pas faire d’autres exercices« …

Cette phrase raisonne, devant tout le monde. J’en vois certains qui lèvent leur tête alors qu’ils sont dans leur posture, pour me/nous regarder. Cet échange est irréel. Je souris. Je réponds « thank you »…. et je vais dans les vestiaires faire la chandelle tout en admirant le diamètre de mes cuisses…

Je reste un peu choquée de ses mots, mais pas offensée. Je me dis que mathématiquement parlant il y a un soupçon de vérité… et cette théorie s’écroulera le jour où une pratiquante indienne, aux cuisses plus épaisses que les miennes, fera supta kurmasana sans aucune difficulté. Son secret : elle avait les bras plus longs, le torse plus court. Elle était plutôt massive et sans vraiment de force, ses chaturangas étaient tous en anté-version, mais dès qu’il s’agissait d’attraper les poignets, de mettre le pied derrière la tête, ou de décoller du sol, elle pouvait y arriver sans sourciller. Un jour elle n’est pas venue pendant 3 semaines. Je la croiserai au coin de la rue qui vend des idlis (spécialités indiennes) et elle m’avouera qu’elle s’est fait mal aux lombaires au moment où elle a été ajustée dans kapotasana. Par la suite je ne l’ai plus jamais revue au shala.

Alors est-ce que, inconsciemment, la phrase de Sharath a influencé le rapport avec mon corps? J’aurai tendance à dire non. Tout d’abord je vous assure qu’il n’y avait aucune méchanceté quand il l’a prononcée, les mots peuvent paraître percutants mais aucune malice. De sont point de vue, il a été honnête avec lui-même, c’était son opinion, et il me l’a partagée.

Par ailleurs, plus tard, j’ai réussi à passer Supta Kurmasana, en force bien sûre, mais avec mes cuisses dites épaisses. Par contre je ne peux pas mentir, dès lors que j’ai commencé à fondre, Supta Kurmasana ne représentait plus un grand challenge. Laghu Vajrasana par contre oui et je ne suis jamais allée plus loin.

Avec Iain et Sharath la règle dite tradition étant que si une posture ne peut être faite, la pratique s’arrête ici. Avec John Scott c’était différent, sa tradition veut que « si tu veux, tu peux », du coup il fait passer un certains nombres de postures, dans un espace temps très limité, et parfois à la limite de ce que le corps peut vraiment supporter.

Ma conclusion : il n’y a pas de tradition.

La première voulant que si pas possible alors on arrête, prend naissance du fait que trop de monde attend dehors, il faut libérer la place pour le prochain pratiquant. Alors pour le résoudre, si un élève ne passe pas une posture sa pratique s’arrête. Cette tradition vient de Sharath et non pas de son grand père Sri Pattabhi Jois. Avant les pratiquants avaient même une série différente en fonction de leur capacité le plus souvent athlétique.

Ma deuxième conclusion appuie alors la première : il n’y a pas de tradition. C’est une invention pour nous faire croire que l’Ashtanga Vinyasa a un côté quelque peu élitiste dans sa pratique et dans son approche. Soyons honnête là-dessus.

Heureusement que les professeurs s’en affranchissent, sauf le mien apparement, et que maintenant on peut pratiquer l’Ashtanga Vinyasa Yoga avec des sangles, briques, supports, voir chaises Iyengar. Les puristes s’en offusqueront, les autres hausseront simplement les épaules. Personnellement maintenant je m’en fiche. Je me suis retrouvée dans les deux camps. J’ai été influencée par les deux. Je suis devenue comme la Suisse : neutre sur le sujet.

Je trouve que l’AVY est une bonne base pour toute séquence posturale. C’est un bon support. En revanche ce que je déplore est que malgré le nombre incroyable de professeurs que j’ai suivis pour mes pratiques, très peu étaient intéressés de savoir comment on allait. Très peu d’échange avec ces professeurs. John Scott étant entouré d’une nuée de fans et amis proches, je me rappelle que pour l’approcher à table pendant les déjeuners il fallait braver le regard des pratiquants qui étaient à sa table, genre la place d’honneur, et j’en garde un souvenir assez particuliers. Le dogme du professeur.

Eddie Stern était très particuliers. David Swenson adorable mais peu accessible quand il s’agissait de vouloir adapter une posture. Iain mon professeur parle très peu, il faut lui arracher une conversation ce qui me donne l’impression de lui voler du temps. Mark Robberds a été de loin le plus accessible.

La chasse aux asanas/postures

La deuxième chose que je déplore est ce concept. Si vous allez pratiquer à Mysore avec Sharath, à un moment donné de votre pratique, vous allez vous confronter avec cet élément. Que très peu de pratiquants avouent alors qu’au final, tout le monde le fait. Chasser la prochaine posture, quêter l’approbation de Sharath pour être promu à la prochaine posture, qui vous permettra alors d’asseoir votre autorité et fera grandir votre prestige. Il faut être très clair là-dessus, c’est un fait. Que vous le vouliez ou non, il arrivera un temps où ce moment arrivera.

Et c’est pour cela que c’est un cercle vicieux. Pendant la classe guidée, vous ne voulez pas être le pratiquant qui reste assis sur son tapis pendant que tout le monde enchaîne sur Navasana, sous prétexte que vous n’avez pas attraper dans Marichyasana D.

On va vous dire alors, et je l’ai aussi répété pour justifier, « ça travaille l’ego ». Alors oui et non. Mais surtout l’ego de qui ? De celui qui arrive à faire toutes les postures et qui à chaque fois qu’il croisera votre regard au moment de sauter en avant aura un semblant de compassion ? Ou bien de celui dont le corps se refroidit invariablement de la non-activité et pour qui rejoindre le groupe au moment de Urdhva Dhanurasana sera une double peine ?

Car oui notons que ce « concept » n’a aucun sens. Vous êtes arrêté en plein milieu de pratique, vous ne pouvez même pas faire les vinyasas pour au moins garder votre pouls et votre chaleur corporelle actifs, et au moment où arrive la série de fermeture on vous demande de monter en pont : où est la logique là-dedans ? Est-ce que quelqu’un s’est vraiment penché sur le sujet deux minutes ?

L’obsession

Je massacrai ou n’accordai que très peu d’attention aux postures debout, tant mon cerveau et mon mental étaient concentrés sur les flexions arrière. Je ne voulais faire que ça, et elles ne sont pas nombreuses. Mais le peu qu’il y avait était mon seul objectif. Avec le recul j’avais un niveau de frustration assez élevé, je m’ennuyais ferme dans la série des Janu Shirshasana, la série des Marichyasana me gavait, et Supta Kurmasana me faisait mal au sacrum. Peu importe, tout ce que je voulais c’était faire ce que l’on appelle les « drop back » : descendre debout en flexion arrière et atterrir sur les mains, pour remonter et redescendre et ce 3 ou 5 fois.

Vous dire ce que j’ai fait endurer à mon corps…

Vous dire le montant astronomique de la facture que mon corps m’a fait parvenir ces deux dernières années.

Je ne blâme personne sinon moi. En revanche un petit bémol tout de même, avec le recul suffisant, et ceci n’est que mon avis, il n’y a que très peu d’encadrement dans la pratique de l’Ashtanga Vinyasa Yoga. Alors peut être pas/plus dans les studios de nos jours où la pratique se démocratise grandement, mais de ce que j’ai vécu, j’ai été plus souvent poussée dans mes retranchements que épargnée. Le shala où j’ai souffert le plus est celui de Bangkok avec Boonchu Tanti. Le niveau était élevé. Physiquement j’avais le corps qui pouvait faire croire que j’étais forte car j’étais toute sèche, tandis que fondamentalement c’était tout le contraire.

Encore une fois, un professeur sort du lot et c’est Mark Robberds. Il a été le seul pendant les stages intensifs à parler de renforcement musculaire et d’adaptation de la pratique. Tous les autres, auréolés de leur statut de méga star, n’ont pas eu ce recul suffisant. Il parait que Gregor Maehle est un très bon professeur mais je n’ai jamais suivi son enseignement.

Le fait est que ces accumulation de pratiques poussives ont formaté mon mental et du coup mon enseignement s’est traduit parfois avec rigidité. Je le reconnais maintenant.

Par contre j’ai eu besoin de tout ce temps pour me comprendre et m’analyser. Comme je le dis souvent, je suis plus lente que d’autres.

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