Il n’est pas faux d’écrire et de penser que nous vivons dans un monde bercé d’illusions et pour lequel l’apparence est la première chose que nous voyons mais que nous ne discernons pas.
L’apparence devient alors l’apparat de chacun, tout le monde devient alors imposteur de sa propre réalité qui ne devient réelle aux yeux de celui qui la voit dès lors qu’il commence à y croire.
Depuis la nuit des temps l’être humain est ainsi. On peut le trouver dans l’expression telle que “se montrer sous ses plus beaux atours” qui avec l’appauvrissement de la langue française s’est probablement transformée en “se montrer sous son meilleur jour” ou tout simplement “se mettre sur son trente et un”.
Bien avant l’avènement des réseaux sociaux ce fut le cas, on juge d’abord la couverture avant d’ouvrir le livre, et depuis l’arrivée tonitruante de Instagram où tout le monde se met en scène, c’est devenu quelque chose de parfaitement normal, accepté, suivi, adoré, respecté voir vénéré.
Devenir imposteur
L’imposture au premier degré est le fait de se faire passer pour une personne que l’on n’est pas.
Ce fut mon cas.
Pendant quelques semaines je me suis transformée en homme, professeur de yoga, ayant voyagé autant que moi, avec la même expérience que la mienne, mais placé sur un avatar masculin âgé de 37 ans.
Pourquoi j’ai fait ça ?
En tant que “moi”, Stéphanie, j’étais sur un groupe Facebook réservé à des professionnels du Yoga enseignant à l’étranger. Il y avait beaucoup de débats autour de ce qu’était vraiment le yoga, les traditions, les origines, la philosophie. La plupart étaient menés par des hommes, enseignant de yoga.
Il y avait un utilisateur très actif qui passait son temps, il devait en avoir beaucoup à perdre, à écrire des longs textes. J’aimais beaucoup ce qu’il écrivait mais j’ai pu remarquer aussi qu’il était intransigeant dans ses propos et ne laissait personne le contre dire. Soit. Au final il a été éjecté du groupe tant il devenait insupportable.
Un jour une question portant sur le shivaïsme a déchaîné les passions et commentaires de professeurs, pour la plupart masculin, qui “savaient” ainsi que de quelques femmes qui visiblement n’avaient pas la bonne génétique pour comprendre les tenants et aboutissants de ce débat qui en soi était extrêmement stérile, tellement basé sur l’ego de chacun, trop pressé à mettre en avant leur savoir portant sur les Puranas, textes écrits par Maharishi Vedavyasa, il y a longtemps (ma contribution s’arrête là je ne connais pas les Puranas).
Je ne me rappelle plus comment la discussion a dévié sur les traits que les disciples du Shivaïsme se dessinent sur le front soit le Tripundra versus celui de Ganesh qui peut être la swastiska, ou le signe om.
Le fait est, qu’à l’époque, ça devait être en 2015 ou 2016 je vivais en Inde dans un ashram, et certains de nos employés étaient ou des adorateurs de Shiva ou de Ganesh.
Un jour après une discussion avec Prakash il m’expliquait que peu importe le signe que l’on se mettait sur le front, on pouvait avoir le Tripundra et pour autant décidé de suivre Ganesh.
Forte de cette information, à un moment donné de la conversation enflammée suscitée sur le groupe Facebook, je suis intervenue en postant un commentaire, et là j’ai littéralement été lynchée.
J’ai été mise en pièce par un professeur homme, vivant dans la campagne française, féru de philosophie et n’ayant jamais voyagé plus loin que la barrière de son jardin.
Cet homme avait un avis sur tout, sur tout le monde, savait tout mieux que tout le monde, était le professeur parfait et dans son monde de petits coqs pas encore castrés et pourtant à la voix aiguë ; il était supporté par d’autres coqs aux différents gabarits mais tous autant misogynes. Car le Yoga sur ce groupe était bel et bien une affaire de mecs, d’hommes, des vrais, de ceux qui parlent de ce qu’est vraiment l’essence du yoga.
Au final il a bloqué mon compte et après m’avoir copieusement insultée dans des phrases tournées très philosophiques avec des termes pompés allègrement à Wikipedia, il avait décidé que la discussion était close et que je n’étais qu’une idiote.
Soit.
Ladies & Gentlemen, faisons entrer mon avatar sur ce groupe.
Comment l’idée m’est venue ? Je ne sais pas, un coup de génie, ou bien une grosse frustration de ne pas pouvoir me faire entendre, peut être aussi un problème existentiel dans le but de lui faire fermer son clapet pour bien montrer qu’il avait tort.
J’ai donc ouvert un compte Facebook et je me suis créée un profil que j’ai appelé Vincent avec une photo de Ganesh pour compléter le tout.
Puis un matin, après ma pratique, les manches retroussées et prête à une bataille virtuelle, je suis allée retrouver le fil de discussion et j’ai commencé à y répondre.
Mes commentaires étaient à peu de chose prêt les mêmes que ceux postés sous ma vraie identité, le fil de conduite était à l’identique, et comme je n’avais pas toutes les réponses j’allais les pomper allègrement dans les discussions que j’avais avec Prakash, mais bien évidemment je les faisais passer pour les miennes – on s’entend, quitte à être un imposteur autant le devenir dans les grandes lignes.
Et comme je m’y attendais, car le type était prévisible, il a commencé à me répondre….. sauf que là, sous mon avatar de Vincent, j’avais soudainement raison !
Je rajouterai même que d’autres se sont joints à lui pour m’auto congratulé sur mes connaissances. J’ai donc eu des échanges intéressants mais cependant avec des personnes qui m’ignoraient royalement sous mon vrai “moi”.
Pour affiner les débats, j’ai même posté des “j’aime” sous les commentaires de mon moi soit Stéphanie et pour pousser le bouchon un petit peu plus loin, j’ai finalement engagé une conversation avec mon profil de Stéphanie Viu-Kessler.
Soudainement mon vrai moi avait le soutient d’un homme “plus” instruit qu’elle. Au final cette Stéphanie n’était peut être pas si conne que ça, du coup les autres ont commencé à mettre des j’aime à leur tour sur mes fils de conversations…….
Je suis bonne pour l’asile me direz-vous ?
Peut être…. Au début je vous avoue franchement que j’ai ri, j’ai encore plus ri quand la personne qui avait bloqué mon vrai moi, a commencé à engager une conversation en message privé avec mon avatar Vincent. Au final il s’est avéré que ce type n’était pas complètement débile, plutôt sympas même, et entre mecs on a commencé à échanger sur les choses de la vie. Il voulait que je lui envoie des photos de l’Inde car il n’y avait jamais mis les pieds, aucun problème, vivant sur place je me suis surprise à prendre des photos des temples, de la rivière etc pour lui envoyer par Messenger.
J’ai fini par rentrer dans son intimité en tant que Vincent, il allait avoir un enfant, son premier, moi j’avais décidé que mon avatar serait stérile (oui je sais j’ai beaucoup d’imagination), ermite en devenir en Inde…..
Puis après un mois j’ai fini par me lasser de cette relation gonflée à la testostérone fictive, et j’ai réalisé l’ampleur de la chose.
Outre le fait, mais je ne souhaite pas ouvrir les débats, qu’il était plus facile de se faire entendre et surtout écouter, dans ce cas précis plutôt lu, en tant que professeur de yoga masculin vivant en Inde, ce qui m’a choquée était surtout l’aveuglement des personnes qui suivaient les fils de discussion qui jamais ne sont rendus compte qu’en tant que Vincent j’écrivais absolument la même chose que Stéphanie ! Tandis que Stéphanie n’avait aucune quote de popularité dans ce débat chaotique, Vincent lui a réussi à se faire “comprendre” et à se démarquer (un grand merci à Prakash).
Et que dire de l’article sur lequel je suis tombée un jour par hasard qui titrait en anglais “Is it safe to travel alone in India?”.
Article rédigé par un mec blanc, baraqué comme Brad Pitt à l’époque de Fight Club, grand et bien sapé. Il expliquait comment il avait voyagé trois mois en Inde, été dans des petits villages loin des grandes villes et dans lesquels il avait été accueilli à bras ouverts.
Mais oui, effectivement, l’Inde vu de ce point de vue est totalement sécuritaire. Maintenant pouvons-nos retourner le sujet avec le même profil de bombe mais féminin?
Il avait publié son article sur Facebook, j’y avais répondu en tant que Stéphanie en expliquant que tout de même l’Inde est magnifique certes, mais c’est et ça restera quand même le pays où j’ai pu avoir la chance de voir le plus grand nombre de pénis sous mon nez dans les transports en commun, pendant que mes fesses certes tentantes se faisaient masser par hasard par des mecs qui n’avaient sans doute pas de poches, sans parler des langues sorties de leur bouche chorégraphiant misérablement ce que je qualifierai d’un cunnilingus raté. Et les conversations venant d’un autre monde du style “j’ai une chambre, vous voulez la visiter ?”…… le tout le plus naturellement possible avec en fin de discours un Namaskar….
Comme je n’avais pas de réponse à mon commentaire, j’ai quitté Stéphanie pour me remettre dans la peau de Vincent, qui pour le coup soutenait et supportait mon propos. Et c’est à ce moment là que le rédacteur de l’article s’est manifesté, mais pour engager une conversation avec Vincent et non Stéphanie…
Dans un tout autre registre
En 1999 j’étudiais en informatique à Montréal, et j’ai découvert les “chat room” de Yahoo. La plupart les utilisait pour rencontrer soit disant l’âme soeur et autour d’une discussion le mec avec qui j’étais en ligne me demande à quoi je ressemble. Je lui ai sorti le tableau, j’étais un vrai canon bien évidemment, et à mon grand désarroi le type y a cru…. Sur ce je lui ai dit, déjà à l’époque, que je pouvais être n’importe qui et surtout celle qu’il voulait croire que j’étais, car au final on ne se voyait pas en vrai. Le type l’a très mal pris mais j’étais surprise de sa naïveté.
En 2021 c’est maintenant pire. Vous pensez savoir à quoi ressemble la personne que vous suivez sur Instagram et quand vous la voyez en vrai, vous vous rendez compte à quel point les filtres Instagram peuvent être trompeurs.
Tout est faux. Du nombre d’abonnés achetés pour gonfler une popularité inexistante, aux posts bien être et bienveillants sur l’amour de soi, à ceux et celles qui font leurs adieux incessants en prenant un break des réseaux sociaux, mais pour autant continuent de poster pour garder le contact avec leurs abonnés, en créant une soit disant dépendance tellement leur vie est divinement intéressante et captivante pour terminer dans un état de vide total inter sidéral.
En dehors du fait que je pourrai faire monter la mayonnaise assez facilement en expliquant à quel point nous vivons dans un monde et mode de vie patriarcale en expliquant qu’il est probablement plus facile d’y évoluer dès lors que nous sommes les heureux détenteurs d’un organe génital masculin, ce débat ne m’intéresse pas. Car même si sur le fond je suis d’accord, pour autant j’adore quand un homme me fait passer devant lui, m’ouvre la porte ou m’aide à porter un sac trop lourd.
Ce qui m’alarme le plus, c’est l’engouement suscité des personnes utilisant des phrases, techniques, méthodes, promesses, qui fondamentalement sortent de nulle part, pour lesquelles leur biographie est totalement absente de référence concrète, et pourtant qui génèrent un nombre incalculable de fans et adorateurs en tout genre.
Je terminerai donc sur une quote de Muhammad Ali :
« I know where I’m going, and I know the truth, and I don’t have to be what you want me to be. I’m free to be what I want ».
Sujet à interprétation certes.